L'agitation autour de l'Europe de l'Est a repoussé en arrière-plan la principale région stratégique des décennies à venir, l'Asie. Quoi qu'il en soit, cette agitation s'apaisera et l'attention reviendra sur la région la plus importante des océans Pacifique et Indien.
C'est également mentionné dans le contexte de la bataille actuelle. Les États-Unis craignent que la Chine profite de la confusion autour de l'Ukraine pour régler en douce le problème de Taïwan. Washington n'est pas prêt à une bataille sur deux fronts.
Ou encore l'argument suivant: Pékin suit la réaction des États-Unis aux exigences de la Russie, et s'il percevait un signe de faiblesse dans cette réponse, il le considérerait immédiatement comme un feu vert pour son offensive. Par conséquent, les Américains doivent tenir bon.
Par ailleurs, les Jeux olympiques d'hiver qui commencent à Pékin tourneront forcément les projecteurs sur la Chine. Et pas sur les exploits sportifs, mais plutôt sur l'entourage politique. À commencer par le fait que les puissances occidentales ont annoncé un "boycott diplomatique", c'est-à-dire que leurs représentants politiques n'assisteront pas à l'ouverture. Toutefois, tout le monde n'a pas rejoint ce mouvement. Par exemple, la France et la Pologne n'ont pas voulu faire fi. Mais dans le milieu médiatique cela sera tout de même présenté comme si le monde démocratique avait exprimé son attitude à l'État totalitaire. Tandis que les partenaires de Pékin n'ont pas manqué l'occasion pour renforcer leurs liens pour faire face à l'Occident. On ignore pourquoi l'Occident lui-même ne profiterait pas de l'occasion pour renforcer les liens.
La Chine accueille les JO dans une situation inhabituelle. Les compétitions en soi se déroulent dans le cadre d'un isolement sans précédent, ce qui est normal: une activité d'une telle ampleur en pleine pandémie nécessite des mesures particulières. À noter que la Chine vit depuis presque deux ans dans un isolement record depuis plusieurs décennies. Le Covid a coïncidé avec un décalage majeur dans le système international, a stimulé l'isolement des États et le renforcement de la concurrence. Sans oublier que l'interdépendance et l'interconnexion pourraient être non plus un avantage, mais un fardeau, voire un risque.
Tous ces changements ne résultent pas de la pandémie, elle n'a servi que de catalyseur de ce qui est apparu avant celle-ci. La pandémie a marqué une séparation entre l'époque de la mondialisation totale et une autre période dont l'essence se manifestera ultérieurement, mais elle sera différente.
Selon un avis général, la Chine a tiré le plus grand profit de l'étape précédente se transformant d'un pays pauvre et en retard dans beaucoup de domaines en État prétendant à la domination économique mondiale. Et probablement pas seulement économique. Cependant, le potentiel d'une telle croissance a été épuisé au moment précis où les puissances occidentales, notamment les États-Unis, ont pris conscience de ce fait.
L'endiguement de la Chine et les efforts visant à bloquer son développement ont commencé dans les années 2010, se sont transformés en ligne officielle sous la présidence de Donald Trump et se sont consolidés avec l'arrivée de Joe Biden. La source extérieure du développement de la Chine se rétrécit. Bien que le président chinois Xi Jinping, à en juger par ses discours, reste pratiquement le principal adepte d'une économie mondiale ouverte, la ligne réelle se tourne de plus en plus vers les sources intérieures de croissance.
Mais cela pose un dilemme compliqué. Malgré toutes les tendances énumérées, l'intégrité de l'économie et de la politique mondiales se maintient, mais sous forme changeante. La ligne entre l'intérieur et l'extérieur est effacée à tel point que même les tentatives ciblées de la rétablir n'apportent qu'un succès relatif.
Peut-être qu'avec le temps les efforts seront plus productifs, mais pas immédiatement. D'autant que la Chine est si profondément intégrée dans l'économie mondiale unie qu'elle ne pourrait pas s'en retirer sans conséquences douloureuses. Et cette économie en soi, en prenant ses fleurons occidentaux, ne voit pas la possibilité d'éjecter un producteur et consommateur aussi gigantesque que la Chine. Mais la démarcation politique est irréversible. D'autant que c'est la pression politique et militaro-politique qui devient l'instrument principal de l'endiguement politique de la Chine.
Pékin se comporte d'une manière démonstrativement agressive, tout le monde connaît déjà l'expression "la diplomatie du loup guerrier". Mais en même temps, il est impossible de ne pas remarquer que Pékin observe avec beaucoup de tension la situation autour, notamment parce que la Chine n'est pas habituée à vivre au jour le jour. Pékin voudrait voir l'avenir.
Fiodor Loukianov, journaliste et analyste politique
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