Comment l'alliance AUKUS va revenir hanter le Moyen-Orient
La création de l'alliance de défense AUKUS impliquant les Etats-Unis, le Royaume-Uni et l'Australie a été conçue comme un outil pour contrer les intérêts chinois. Mais, l'initiative a envoyé la France au tapis, forçant d'autres alliés américains à reprendre la situation.
La formation de l'alliance militaire anti-chinoise AUKUS, qui comprend les Etats-Unis, le Royaume-Uni et l'Australie, a marqué le début d'une avalanche de prédictions sur l'affaiblissement des liens transatlantiques, en particulier, avec la France. La raison en est le scandale autour de la France qui a perdu non seulement la possibilité d'appartenir à une nouvelle association stratégique, mais aussi un contrat sur la durée pour les douze sous-marins avec la partie australienne.
Les analystes avancent que la Ve République cherchera désormais à obtenir une «autonomie stratégique» dans le cadre des relations internationales. Les analystes politiques qui ont publié sur cette affaire du siècle sur le site d'Observateur Continental comme Germán Gorraiz López,qui a titré son analyse «La France, va-t-elle sortir de l'Otan?», le général français, Dominique Delawarde, signalant «Un monde en recomposition mais surtout en cours de bascule» ou Philippe Rosenthal avertissant «La France humiliée, bernée, sur la scène internationale par son plus grand allié», y voient la construction d'une nouvelle voie pour la France dans ce contexte même si Dominique Delawarde pronostique, ce qui est selon lui «très probable», que la France va ravaler «son humiliation» et reprendre «sa place au sein de l’Alliance sans sourciller».
Un autre aspect important, concernant cette nouvelle situation, échappe, en général à l'attention d’autres experts. C'est de savoir comment la volonté de l'administration de Joe Biden de dé-prioriser les relations avec la France afin de répondre à sa lutte avec la Chine peut affecter ces régions où beaucoup dépend des contacts avec les Etats-Unis. En effet, cela s'applique en premier lieu au Moyen-Orient, déjà désagréablement surpris par le retrait précipité et peu glorieux du contingent américain d'Afghanistan. La question de l'AUKUS n'a fait qu'exacerber les phobies des acteurs locaux liées à l'abandon des alliés américains.
Le fait que la lutte contre «l'influence russe et chinoise » soit une priorité pour l'administration américaine se trouvant au pouvoir n'a pas surpris les chercheurs et les décideurs politiques. La seule question, qui restait en suspens, était de connaître le degré de la disposition de Washington à réduire l'importance de sa participation dans d'autres dossiers internationaux afin de réorienter toutes les ressources pour contrecarrer les deux acteurs mondiaux. La situation avec l'AUKUS a démontré que cette intention est suffisamment grande et peut sérieusement frapper les alliés des Etats-Unis.
Dans le cadre d'un redéploiement à grande échelle du contingent américain, entamé sous la précédente administration à la Maison Blanche, les Etats-Unis sont déjà parvenus à réduire le nombre de systèmes de défense aérienne déployés en Arabie saoudite, tout comme à retirer d'autres équipements de leurs pays, malgré le fait que le royaume continue d'être attaqué depuis le Yémen.
Contrairement à toutes les spéculations sur le véritable moteur d'une telle solution, l'équipe de Joe Biden a tenté d'expliquer cela en se recentrant sur des problèmes existentiels. D'ailleurs Dominique Delawarde a donné une information précieuse dans son dernier article en indiquant qu'au «21e sommet de l’Organisation de coopération de Shangai (OCS) qui se tenait à Douchanbé (Tadjikistan), trois jours après «l’annonce du pacte AUKUS du 15 Septembre», l’Arabie saoudite, le Qatar et l’Egypte ont demandé et obtenu un statut d’observateur à l’OCS.
Une formule méthodologique relativement similaire s'est fait sentir dans l'arène irakienne, où les Etats-Unis, pour le plus grand plaisir des figures pro-iraniennes du paysage politique local, ont annoncé, avec le gouvernement central de Bagdad, la suppression d'une mission de combat active, donnant une autre raison de parler d'optimisation totale des campagnes étrangères. L'effet superposé de l'échec afghan des Etats-Unis donnait l'impression que la série de retraits de troupes allait se poursuivre, au moins dans la région du Moyen-Orient. D'ailleurs, comme Dominique Delawarde l'a annoncé dans nos colonnes, on apprenait que l’Iran, qui attendait ce jour depuis 13 ans, devenait membre à part entière de l’OCS ce 18 septembre.
Sauver les efforts militaires est étroitement lié à la question de la délégation de responsabilité pour le secteur de la sécurité dans les pays dont la priorité à l'ordre du jour est considérablement réduite. Ce n'est pas un hasard si, dans le contexte des pourparlers qui ont eu lieu à Genève la semaine dernière entre les délégations de la Russie et des Etats-Unis, il y a eu des spéculations sur la volonté de Washington d'abandonner la responsabilité du nord-est de la Syrie, en la faisant reposer sur les épaules de Moscou. Une question similaire se pose pour la plupart des pays bénéficiant d'un soutien américain.
Dans ce contexte, les hypothèses formulées par le secrétaire du Conseil de sécurité russe, Nikolaï Patrouchev, qui a interprété l'émergence d'un «bloc politico-militaire à caractère pro-américain prononcé», comme un outil par lequel une «politique anti-russe» peut être effectuée, a l'air un peu faible. Si la création de l'AUKUS accélère la tendance à l'affaiblissement des liens des Etats-Unis avec leurs alliés dans d'autres régions alors il pourrait y avoir de la place pour des accords de troc avec la Russie. La seule question est de savoir si c'est conseillé.
Les dirigeants français, qui sont maintenant offensés par les Etats-Unis pour avoir ignoré leurs intérêts dans le processus de formation de l'AUKUS, ont longtemps tenté, avec plus ou moins de réflexion, de mener une politique indépendante au Moyen-Orient. Paris a, par exemple, essayé de jouer un rôle particulier au Liban, ce qui ne correspond pas toujours à la vision de Washington. De plus, la partie française a récemment assisté à une conférence régionale à Bagdad tandis que les Etats-Unis et les Britanniques ont tout simplement ignoré les négociations.
Pierre Duval
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