Le président français a exigé des leaders musulmans de France à signer la charte des valeurs républicaines. C'est la première démarche sérieuse d'un dirigeant européen contre l'extrémisme musulman. Cette charte sera certainement signée, parce que les imams ne voudront pas s'engager dans un conflit ouvert. Mais même en cas d'issue favorable l'apparence d'un contrôle idéologique sur la diaspora musulmane est plutôt une carotte pour le président. Alors que le bâton (plus exactement l'épée de Damoclès) restera bien présent.
Le fait est que le "monde libre" s'est emmêlé dans ses propres valeurs. Parce que les droits et les libertés étaient destinés aux Européens, mais il a fallu les partager avec les gens d'une autre culture et d'un autre tempérament, qui n'apprécient pas cette nourriture spirituelle. Le principal fardeau de l'homme blanc réside dans sa présomption étonnante et sa certitude infinie: sa vision de ce qui est bien et ce qui est mal est la vérité de dernière instance.
Les libertés de l'Européen civilisé ne s'arrêtent pas là où commencent les libertés des autres. Plus exactement, pas toujours. Pourquoi est-il interdit de se moquer des Noirs et de l'Holocauste, mais pas de la religion? Quelle société dictera aux autres ses normes? Les principes d'un journal satirique valent-ils une guerre civile? Il n'y a pas de réponses simples.
Toute société est hétérogène. Mais dans toute société normale les conservateurs doivent tolérer les libéraux, les retraités doivent tolérer les jeunes, les démocrates – les communistes, les intellectuels – les prolétaires, les optimistes – les pessimistes, les athées – les croyants, les chrétiens – les musulmans, etc.
Pratiquement dans tous les pays la société est plus ou moins divisée: par rapport aux présidents ou aux avortements, sur le plan religieux, idéologique ou national. Les gens sont unis par les valeurs communes ou par une menace extérieure. Les opposants arméniens et azéris condamnaient fermement l'ascension patriotique en Russie après le retour de la Crimée, mais cela n'empêchait pas les Arméniens de considérer le Karabakh comme leur appartenant, et aux Azéris de s'unir autour de leur président qui a lancé une guerre contre le Karabakh et de célébrer le retour des territoires capturés.
La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen adoptée en 1789, qui reste à ce jour un document juridiquement contraignant en France, stipule: "La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui"; "l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits"; "Ne faites pas à l'autrui ce que vous ne voulez pas que les autres vous fassent. Faites aux autres le bien que vous voudriez recevoir vous-même".
Mais quels repères de valeur déclarés existent en France aujourd'hui? Le multiculturalisme? La liberté d'expression limitée par le politiquement correct? Ou la liberté illimitée de se moquer des valeurs des autres?
Le pays qui ne défend pas sa culture, ses valeurs et ses traditions est voué à servir les autres. Les illusions d'un avenir numérique mondial ne changeront les intérêts concrets de personne. Si l'Europe ne se défend pas, elle deviendra un califat. Et si les gouvernements démocrates n'arrivaient pas à la défendre, l'extrême-droite arrivera au pouvoir.
Il est évident que les migrants ne peuvent pas encore dicter leurs ordres aux Européens: les lois ne le permettent pas. Mais si, inquiets de transgresser les limites des migrants, les Européens se mettent eux-mêmes à annuler les sapins de Noël (et ensuite quoi: interdire le porc? Porter le voile? Changer ses propres lois?), pourquoi ne pas élargir ces limites? Les musulmans n'ont pas besoin de vivre dans un pays qui profane librement Allah. Mais alors pourquoi partent-ils dans ce pays et cherchent ensuite à faire changer son ordre en coupant la tête?
C'est avant que les Européens devaient penser qui ils laissent entrer dans leur "maison commune". Et que restera-t-il à faire à Emmanuel Macron si son ultimatum était ignoré? Interdire l'islam? Arrêter les imams? Si un ultimatum est fixé sans évaluer les scénarios éventuels, la conséquence la plus inoffensive du refus de l'accepter sera la chute de la popularité du président français. Et dans ce cas la balance des sympathies sociales basculera forcément du côté de l'extrême-droite.
Alexandre Alechkovski, scénariste, réalisateur et journaliste russe
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