Recep Tayyip Erdogan aurait pour objectif la mise en œuvre de l'Etat islamiste-erdoganiste signifiant la fin de l'Etat séculier implanté en 1923 par le père de la Turquie moderne, Mustafa Kemal, qui croyait que «la laïcité et l'européanisation de la Turquie étaient les moyens les plus appropriés pour transformer le pays en une nation industrielle moderne».
Le kémalisme a laissé en héritage une crise d'identité dans la société turque (européanisée mais non intégrée dans les institutions européennes et musulmane mais étrangère au monde islamique). La Turquie serait un régime autocratique avec des symptômes évidents de dérive totalitaire. Ainsi, la mise en œuvre de l'Etat islamiste-erdoganiste se traduirait par des coups de pinceau comme la mise en œuvre de l'enseignement du Coran à l'école primaire et des restrictions à la liberté d'expression sous forme d'emprisonnement de journalistes d'opposition.
En effet, la nouvelle doctrine géopolitique d'Erdogan vise à arrêter de graviter sur l'orbite occidentale et à devenir une puissance régionale, ce qui implique que la loyauté envers les intérêts anglo-juifs au Moyen-Orient serait remise en question en raison du soutien prévisible d'Erdogan à la faction. On aurait le scénario avec le Hamas palestinien et les Frères musulmans et la confrontation consécutive avec Israël et l'Égypte ainsi que la guerre totale déclarée contre le PPK kurde (Parti des travailleurs du Kurdistan) et son allié syrien le PYD (Parti de l'union démocratique) ce qui entrerait en conflit avec la nouvelle stratégie géopolitique des Etats-Unis pour la région. L'obsession d'Erdogan serait d'empêcher l'émergence d'une autonomie kurde en Syrie qui sert de plate-forme au PKK. Le Congrès turc aurait, donc, approuvé une loi qui permet aux Forces armées turques (TSK) d'entrer en Syrie et en Irak pour combattre «les groupes terroristes», un euphémisme qui engloberait moins l'Etat islamique que le PKK et le PYD kurdo-syrien, allié et frère du PKK.
Erdogan a refusé de participer aux sanctions occidentales contre Moscou et a acheté des missiles de défense antiaériens HQ-9 à la Chine et a exprimé son désir de s'intégrer à la nouvelle route de la soie en permettant les investissements de la Banque industrielle et commerciale de Chine (ICBC) afin que le leader turc soit un obstacle à la conception de la nouvelle doctrine américaine. Ainsi, les Etats-Unis étudieraient la mise en œuvre du plan dit Biden-Gelb, approuvé par le Sénat américain en 2007 et rejeté par Condolezza Rice, secrétaire d'Etat auprès de George W. Bush, qui envisageait la mise en place en Irak d'un système fédéral afin d'éviter l'effondrement du pays après le retrait des troupes américaines et a proposé de séparer l'Irak en entités kurdes, chiites et sunnites, sous un gouvernement fédéral à Bagdad chargé de garder les frontières et de gérer les revenus pétroliers. Le nouveau Kurdistan aura les bénédictions des Etats-Unis et disposera de l'autonomie financière en détenant 20% des opérations du total du pétrole brut irakien avec la «condition sine qua non» d'approvisionner la Turquie, Israël et l'Europe de l'Est en pétrole kurde par le biais de l'oléoduc de Kirkust menant au port turc de Ceyhan.
L'armée turque joue un rôle politique important dans l'ombre puisqu'elle est considérée comme la gardienne de la nature laïque et unitaire de la République selon les postulats kémalistes et les partis politiques jugés antiséculaires ou séparatistes par le pouvoir judiciaire turc. A la demande de l'establishment militaire, ils peuvent être déclarés illégaux.
Déjà à la veille de l'élection d'Abdullah Gül à la présidence de la Turquie (août 2007), les forces armées ont affirmé qu '«elles interviendraient de manière décisive dans la défense de la laïcité face aux efforts de certains milieux pour saper les valeurs fondamentales de la république qui ont clairement augmenté ces derniers temps», un avertissement proche de la rhétorique du coup d'Etat militaire de 1980 et qui pourrait être extrapolé à la situation politique actuelle caractérisée par la répression et la restriction des libertés et le conflit militaire au Haut-Karabakh initié par l'Azerbaïdjan qui aurait les bénédictions du président turc et le rejet frontal de la Russie et des Etats-Unis.
De même, l'intervention turque en Libye pour installer une base militaire qui facilitera le contrôle des routes gazières méditerranéennes et ainsi torpillera la construction du gazoduc sous-marin EastMed, (initiative conjointe de la Grèce, de Chypre et d'Israël pour transporter le gaz des champs pétrolifères de la Méditerranée du Sud-Est à l’Europe) et de devenir, avec la Russie, les seuls fournisseurs de gaz de l’Union européenne. Dans ce contexte, invoquant le droit international, la Turquie a exigé de la Grèce et de Chypre une zone économique exclusive (ZEE), pour exploiter les importantes réserves de gaz de la région, une tentative qui s'est heurtée à l'opposition frontale de la France qui a envoyé des navires militaires, avec lesquels le président turc aurait gagné l'hostilité du président français et du reste de l'Union européenne.
Tout cela, couplé à l'effondrement de la livre turque (25% cette année) et au mécontentement populaire face à la récession économique imminente, pourrait amener l'armée turque à effectuer un nouveau coup d'Etat «virtuel» ou «postmoderne» qui aurait les bénédictions de Washington et de Moscou car le président turc est devenu un paria international, laissant la Syrie et la Turquie comme porte-avions continentaux de la Russie et des Etats-Unis respectivement.
Germán Gorraiz López, analyste politique
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