Tandis que le monde entier s'efforce de faire face à la Covid-19, deux pays voisins les plus peuplés du continent africain (110 millions d'habitants chacun) se trouvaient au seuil d'une guerre il y a quelques jours. Et seulement une intervention d'urgence du président sud-africain Cyril Ramaphosa et de la direction de l'Union africaine a permis de faire assoir les belligérants à la table des négociations. Mais cela n'a encore apporté aucun résultat positif.
Rappel des faits. En 2011, l'Ethiopie a lancé en amont du Nil bleu la construction du plus grand barrage en Afrique, dont le projet a été élaboré par des spécialistes d'Angleterre, de France, d'Allemagne et d'Afrique du Sud. Pendant toutes ces années l'Egypte critique cette construction en menaçant, si son avis n'était pas pris en compte, de recourir à la force pour empêcher la construction du barrage.
Pendant ce temps, l'Egypte, le Soudan et l'Ethiopie ont signé une déclaration conjointe des pays du bassin du Nil notamment sur l'exploitation juste de ses ressources d'eau (qui était comprise à sa propre manière par chaque pays). Etant donné que la tension avant tout entre Addis-Abeba et Le Caire se maintenait, il a été décidé il y a deux ans de réunir un groupe de chercheurs de 5 experts de chaque pays. Ainsi qu'une commission intergouvernementale sur le Nil avec un siège sur un territoire neutre – en Ouganda.
Cependant, pendant que les chercheurs et les ingénieurs hydro-énergétiques cherchaient à régler le problème, la grande politique s'en est mêlée une fois de plus. Mi-juin, l'Egypte s'est plaint de l'Ethiopie au Conseil de sécurité des Nations unies en considérant les actions unilatérales d'Addis-Abeba pour la construction du barrage de menace pour la paix et la sécurité de toute la région.
Sachant que l'Egypte insiste sur ses droits historiques sur les eaux du Nil de 1959, quand les Anglais quittant les lieux ont partagé les eaux du Nil entre l'Egypte et le Soudan, alors qu'absolument personne ne se préoccupait des intérêts de l'Ethiopie (même si territorialement 86% des eaux du Nil bleu appartiennent précisément à l'Ethiopie). Alors qu'aujourd'hui le barrage de la Renaissance, c'est son appellation dans les documents officiels, permettra non seulement d'alimenter le pays en électricité bon marché, mais également d'en exporter.
La construction en soi de ce barrage est au fond une question de survie pour l'Ethiopie parce que plus de la moitié de la population n'a pas accès à l'électricité.
L'Ethiopie a déjà dépensé pour la construction du barrage plus de 4 milliards de dollars de son budget national. Cependant, ce barrage qui fait la fierté du peuple éthiopien suscite une forte aversion du Caire. Ce dernier exige d'Addis-Abeba de partager "équitablement" les eaux du Nil en cherchant à régler le litige des eaux avec la participation internationale, tandis que l'Ethiopie propose de régler ces problèmes uniquement entre les trois pays voisins.
Entre temps, à l'époque de Gamal Abdel Nasser, l'URSS a construit pour l'Egypte sur le Nil le barrage d'Assouan géant, et ce sans consulter l'Ethiopie ou le Soudan. A présent, l'Ethiopie perd plus de 1 milliard d'euros par an parce que le barrage ne fonctionne toujours pas à pleine puissance. Et dès que récemment l'Ethiopie a rempli les réservoirs du barrage, l'Egypte l'a considéré comme une menace pour sa sécurité nationale car pratiquement toute la population de ce pays vit au bord du Nil commun où affluent les eaux du Nil bleu et du Nil blanc près de la capitale soudanaise Khartoum. Et si l'agriculture de l'Egypte ne recevait pas une quantité d'eau suffisante du Nil Bleu, le pays pourrait être confronté à la famine.
Quelle sera la suite? Les deux pays ont promis de poursuivre les négociations sur le statut des ressources du Nil. Le fonctionnement normal du barrage est une question de vie ou de mort pour l'Ethiopie. Alors que pour l'Egypte c'est une question de principe selon lequel Le Caire pense avoir le droit légitime de disposer des eaux du fleuve, et il refuse absolument que l'Ethiopie dispose des ressources du Nil par le biais du barrage.
Alexandre Lemoine
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