Pour la première fois depuis la pandémie les dirigeants européens se sont réunis à Bruxelles en personne. Du vendredi au dimanche les chefs d'Etat et de gouvernement, renonçant aux poignées de main habituelles, ont tenté de se mettre d'accord sur le budget commun pour 2021-2027, y compris le plan de relance économique après la pandémie de coronavirus. Il était question de 1.820 milliards d'euros. Mais tout au long des pourparlers les différends devenaient de plus en plus palpables. Pour la première fois, cette réunion a duré trois jours au lieu de deux.
Ceux qui ont déjà assisté aux sommets de l'UE consacrés au futur budget savent qu'en cette période il n'existe aucun local dans le bâtiment Europa de Bruxelles qui ne serait rempli par des délégations des pays de l'UE, du Parlement européen et de la Commission européenne. Même dans l'immense hall au rez-de-chaussée et dans tous les couloirs se trouvent des tables, des chaises et des caméras pour mettre en place un centre de presse géant pour les médias européens, et les journalistes d'autres pays sont installés dans des locaux à part.
Le changement qui s'est produit à cause de l'épidémie de coronavirus est d'autant plus flagrant. Au premier sommet en personne depuis des mois (tous les autres depuis mars se déroulaient en visioconférence) les journalistes n'ont pas été admis dans le bâtiment où se déroulent les pourparlers. Il leur a été interdit de poser des questions traditionnelles aux chefs d'Etat et de gouvernement entrant et sortant, laissant uniquement la possibilité d'enregistrer sur vidéo les discours de ceux qui voudront déclarer quelque chose à la presse. Et les délégations des pays qui comptent généralement près de 20 membres ont été réduites cette fois à un maximum de 6 personnes.
Les experts qui recomptent en général immédiatement tous les accords en sommes concrètes pour leurs pays sont restés dans les représentations de Bruxelles en contactant leurs délégations par internet. Les poignées de main étaient interdites, même entre les dirigeants. Les membres des délégations devaient porter des masques et respecter une distance de 1,5 m. Pour cela, les pourparlers ont été organisés dans une salle prévue pour 350 personnes et dotée de climatisation assurant une alimentation permanente en air frais.
Or le fond des événements n'a pas changé. Les pays du Nord de l'Europe qui sont les plus grands contributeurs au budget de l'UE, avec le premier ministre néerlandais Mark Rutte en tête, comme aux sommets antérieurs, refusaient de tendre gratuitement une main d'aide aux voisins du Sud les plus touchés par le coronavirus comme l'Italie et l'Espagne. La proposition du chef du Conseil européen Charles Michel d'allouer 500 milliards sous la forme de subventions gratuites et seulement 250 milliards sous la forme de crédit n'a pas été appréciée par le "quartet avare" - les Pays-Bas, l'Autriche, le Danemark et la Suède, qui ont été rejoints le jour suivant par la Finlande.
Les représentants de ces pays cherchaient à persuader jusqu'au bout la chancelière allemande Angela Merkel et le président français Emmanuel Macron que l'aide gratuite pour le Sud de l'Europe forcerait tous les Européens à payer les dettes des autres. Alors que les crédits motivent l'Italie et l'Espagne à dépenser l'argent octroyé uniquement pour la reprise économique. Cette exigence, ainsi que la condition fixée par Mark Rutte que les bénéficiaires de l'argent européen devront accepter de réformer leurs économies de concert avec tous les pays membres de l'UE, a conduit les négociations dans une impasse.
Vendredi, les dirigeants européens s'entretenaient pendant 14 heures dans différents formats, les débats se sont poursuivis toute la journée du samedi, sachant qu'à la fin il ne restait plus que les dirigeants du "quartet avare", de la France et de l'Allemagne. Les journalistes postés à la sortie rapportaient qu'aux alentours de minuit le bâtiment a été quitté par Emmanuel Macron et Angela Merkel furieux à cause de l'obstination des interlocuteurs.
Pour la première fois depuis le début de la pandémie la réunion en personne des dirigeants de l'UE a montré que la crise n'avait fait qu'approfondir les anciens désaccords.
Dimanche matin, la chancelière allemande à l'entrée de l'Europa a déclaré aux caméras qu'il était possible qu'aucun accord de soit trouvé: "Il y a de la bonne volonté, mais trop de positions différentes." Le fait est que de nouveaux problèmes sont survenus pendant les pourparlers. Pendant le débat sur le budget 2021-2027 le président du Parlement européen David Sassoli a exigé que l'accès aux fonds paneuropéens soit ouvert uniquement aux pays qui respectent les normes juridiques et démocratiques de l'UE.
"Nous devons créer un mécanisme qui garantira le respect de nos valeurs. L'UE n'est pas un distributeur", a martelé David Sassoli. Cette mesure a été immédiatement contestée par la Pologne et la Hongrie accusées par Bruxelles de violer les principes de l'Etat de droit de l'UE. Sachant que la délégation hongroise n'a pas exclu que si c'était inscrit dans le budget, le pays imposerait son veto contre tout le document.
Le sommet de l'UE s'est terminé dimanche soir et a montré: les pays qui paient plus que les autres sont fatigués de vides discussions sur la solidarité, des différends avec les pays d'Europe de l'Est, de l'absence de réformes économiques au Sud de l'Europe et ne croient ni aux uns ni aux autres.
Alexandre Lemoine
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