31.05.2022
Nous vivons à une époque de changements profonds et en grande partie dramatiques. Pratiquement tout change: la manière dont nous travaillons et nous reposons, ce que nous mangeons et buvons, les sources d'informations et ceux que nous considérons comme des leaders d'opinion. Les changements portent sur notre compréhension des intérêts nationaux et humains, des priorités du développement économique et social, des règles acceptables et inacceptables des relations entre les gens et entre les États.
La révolution qui a commencé dans la politique mondiale sera compliquée, douloureuse et en grande partie dangereuse: telles sont les particularités de toute révolution. Mais les États et les sociétés qui pourront percevoir le plus lucidement les changements, prévoir leurs résultats à court et à long terme, déterminer d'une manière réaliste leur place et rôle dans le monde du futur, parviendront à réduire les risques, à éviter des menaces flagrantes et à s'intégrer de manière organique dans le nouvel ordre mondial.
La Russie et la France sont deux pays où l'idée de la cohésion européenne est née et a été élaborée. Nous entrons dans une nouvelle période, probablement assez longue, des relations russo-européennes où les deux parties devront se débarrasser du poids des illusions et des fantaisies du passé récent, mettre de côté les émotions et les rancunes réciproques et commencer à évaluer d'une manière sobre et réaliste les possibilités de la coopération à l'avenir. Ce défi n'est pas lancé uniquement aux dirigeants de la Russie et des pays de l'UE, mais également aux communautés d'experts en Occident et dans l'est du continent européen, aux principaux centres analytiques et institutions de la société civile.
Les années à venir pourraient devenir déterminantes dans la formation d'une nouvelle image de l'Europe. Lors des tournants majeurs de ce genre dans l'histoire, il dépend de savoir qui pourra assumer le leadership du processus de changement. Et en ce sens, la Russie et la France pourraient jouer un rôle primordial.
Il convient de souligner trois domaines d'intérêts coïncidents de la Russie et de l'UE où l'avancement de régimes communs pourrait être particulièrement productif. L'objectif prioritaire consiste à empêcher une escalade de la tension militaire, à relancer le dialogue sur la sécurité, à élargir les contacts entre les militaires, à échanger les informations sur les projets de défense, à comparer les doctrines militaires, et ainsi de suite.
La Russie et la France font aujourd'hui toutes les deux l'objet d'attention de la part de différentes organisations terroristes internationales, et rien ne prête à penser que cette attention s'affaiblira à moyen terme. Un régime international approprié avec la participation de la Russie et de ses partenaires occidentaux en Europe pourrait devenir une réponse collective à cela et à d'autres défis similaires.
Le deuxième grand domaine d'intérêts coïncidents de la Russie et de l'Europe concerne le développement. Non seulement le développement économique, mais également social, culturel et humanitaire. Certes, les priorités du développement socioéconomique de la Russie et de l'Europe ne coïncident pas toujours. Mais dans le cadre des priorités parfois divergentes il est tout à fait approprié d'évoquer les régimes communs dans des secteurs concrets. Par exemple, dans la contribution à lever des barrières et des obstacles bureaucratiques dans la coopération économique. Dans la mise au point des plans de "transition énergétique" et de lutte contre les changements climatiques. Dans la standardisation et l'unification de l'infrastructure logistique et de transport dans l'ouest et l'est de l'Europe. Dans la préservation et l'élargissement de l'espace européen en matière d'éducation, de science et d'innovations. Bien évidemment, cette liste pourrait inclure la fin de la "guerre de sanctions" entre l'UE et la Russie.
Enfin, le troisième domaine d'intérêts communs de la Russie et de l'Europe concerne les problèmes complexes de gestion mondiale. Il ne faut pas oublier que le continent européen abrite trois des cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies, alors que les institutions européennes de sécurité et de coopération étaient considérées pendant des décennies comme un modèle pour d'autres régions et continents.
La France demeure une puissance avec des intérêts mondiaux, c'est pourquoi la coopération franco-russe dans la prévention et le règlement des crises et conflits régionaux pourrait s'avérer particulièrement productive. La gestion des flux migratoires et le règlement des problèmes de réfugiés seraient probablement les secteurs les plus évidents pour déployer des efforts communs.
Igor Ivanov, ministre russe des Affaires étrangères (1998-2004)
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