Dans le conflit ukrainien, les pays arabes s’adaptent déjà aux réalités de la nouvelle ère, en optant pour une posture neutre, voire neutre-engagée, et ce malgré les innombrables pressions de la communauté occidentale. La région stratégique du Moyen-Orient semble donc prendre progressivement ses distances avec les prérogatives de l’establishment occidental.
La Ligue arabe a annoncé la création d’un groupe de contact spécial pour servir de médiateur dans la résolution de la crise en Ukraine. La réunion a été organisée à l’initiative de l’Egypte. Si les Etats concernés ont exprimé leur inquiétude face aux événements en cours, l’essentiel à retenir est que la communauté a choisi d’adhérer de manière catégorique à une politique de neutralité.
De son côté, Financial Times note que la neutralité des Etats du Golfe vis-à-vis du dossier ukrainien reflète des liens profonds avec la Russie. Et que les Emirats arabes unis, ainsi que l’Arabie saoudite, alliés de longue date des Etats-Unis, veulent préserver la coopération avec Moscou sur les questions énergétiques et géopolitiques.
Le quotidien économique britannique note également qu’Abu Dhabi, qui occupe un siège non-permanent au Conseil de sécurité onusien actuellement, avait reçu l’appel du secrétaire d’Etat US Antony Blinken quant à «l’importance de construire une réponse internationale forte pour soutenir la souveraineté ukrainienne». Mais lors du récent vote au CS de l’ONU, les Emirats arabes unis ont finalement ignoré les appels de Washington et ont choisi de rejoindre la Chine et l’Inde qui s’étaient abstenues de soutenir l’initiative occidentale à l’encontre de la Russie, manifestant ainsi les frustrations d’Abu Dhabi à l’égard des politiques étasuniennes.
Il faut noter que la position émiratie était d’autant plus intéressante que cela ne s’est pas limité uniquement au vote au Conseil de sécurité onusien où la position de ce riche pays du Golfe a été vue par les observateurs comme un soutien à peine voilé à la Russie, aux côtés de la Chine et de l’Inde. Depuis le lancement de l’opération militaire russe en Ukraine, le prince héritier d’Abu Dhabi – Mohammed ben Zayed Al Nahyane – a eu une conversation téléphonique avec Vladimir Poutine. Et selon plusieurs sources – aurait même réaffirmé que la Russie a le droit d’assurer sa sécurité nationale.
Tous ces faits et événements doivent surtout être vus comme une capacité évidente des pays du Golfe et plus généralement de tout le monde arabe quant à leur ferme volonté de s’adapter à l’ère multipolaire, dans laquelle la Chine et la Russie jouent un rôle de premier plan, surtout à une période où les anciennes alliances avec l’Occident ne donnent plus satisfaction, à divers degrés.
Il faut également noter que le monde arabe dans son ensemble est intéressé par le maintien de la coopération avec Moscou, en considérant sur le long terme l’Etat russe comme un élément important dans la construction d’une nouvelle architecture de sécurité, y compris dans la région stratégique du Moyen-Orient. L’ancienne posture, souvent pro-occidentale, semble donc s’éloigner de plus en plus, y compris après le succès de l’opération antiterroriste russe en République arabe syrienne – pays avec lequel plusieurs de ces Etats cherchent désormais pour certains à normaliser, pour d’autres à développer sérieusement leurs relations.
Une chose est certaine: l’ordre international multipolaire continue à s’imposer dans un monde arabe qui d’un point de vue civilisationnel a beaucoup plus en commun avec la Chine et la Russie, qu’avec un monde occidental sans valeurs et beaucoup trop hypocrite.
Mikhail Gamandiy-Egorov
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