Ce mercredi, à Berlin s'ouvre la seconde conférence internationale sur le processus de paix en Libye. Son objectif consiste à préparer les élections dans ce pays, ainsi qu'à passer en revue le processus de paix initié en octobre 2020. La question la plus discutable et non réglée concerne le retrait de mercenaires étrangers de Libye. Toutes les parties au conflit et les médiateurs en parlent, mais la situation ne change pas.
L'appel au retrait immédiat de mercenaires étrangers de Libye, ainsi que l'appel adressé aux autorités libyennes à tout faire pour organiser les élections générales le 24 décembre sont les thèses centrales du projet de déclaration finale qu'il est prévu d'adopter mercredi à l'issue de la seconde conférence sur la Libye à Berlin. L'agence de presse italienne Agenzia Nova a réussi à se procurer le brouillon initial du texte. Cette déclaration mentionne des sujets tels que la sécurité, le processus de paix, les réformes économiques et financières, le respect du droit humanitaire international et des droits de l'homme. Les journalistes soulignent que le texte et la structure du document pourraient encore changer.
L'une des nouveautés par rapport à d'autres activités similaires est que la Libye y est représentée en tant participant à part entière aux pourparlers, ce qui est prévu par un paragraphe à part.
Il s'agit de la seconde conférence sur la Libye organisée par l'Allemagne. La précédente s'est déroulée en janvier 2020 avec la participation de chefs d'Etats, notamment des présidents de la Turquie, Recep Erdogan, et de la Russie, Vladimir Poutine. Parmi toutes les conférences sur la Libye elle s'est avérée la plus efficace car il y a été possible de rapprocher les positions des médiateurs extérieurs. Sachant que pour la première fois la Russie a participé à une conférence sur la Libye au niveau présidentiel. D'ailleurs, à l'époque c'est Moscou et Ankara qui jouaient un rôle clé dans le processus de paix en Libye en aidant le Gouvernement d'union nationale de Tripoli (GUN dirigé par Fayez el-Sarraj) et l'Armée nationale libyenne (ANL commandée par Khalifa Haftar) à trouver un terrain d'entente. Et c'est Moscou qui avait insisté pour que Berlin invite les deux figures clés.
Cependant, le véritable processus de paix a été lancé seulement quelques mois plus tard, quand les forces du GUN avec le soutien de la Turquie ont réussi à repousser l'ANL de Tripoli. Après quoi, Moscou, Ankara et Le Caire ont stoppé l'offensive du GUN vers l'Est, et les belligérants sont revenus à la table des négociations. En octobre, ils ont signé un accord de cessez-le-feu et, en février 2021, le Dialogue politique libyen, qui se déroulait à Genève sous l'égide de l'Onu, a élu les membres du Conseil présidentiel dirigé par Mohamed al-Manfi, ainsi que le nouveau premier ministre. Il s'agit d'Abdel Hamid Dbeibah, un homme d'affaires peu connu et politique débutant. L'objectif du GUN et du nouveau conseil consiste à préparer le pays aux législatives et à la présidentielle, ainsi qu'à unir les institutions politiques et financières de l'est et de l'ouest de la Libye divisées depuis six ans.
Mais le conflit n'est pas encore réglé. Khalifa Haftar et son armée demeurent en dehors du contrôle de Tripoli, alors que le poste de ministre de la Défense reste vacant.
Sur cette toile de fond, la communauté internationale, d'après le brouillon de la déclaration, reconnaît le progrès atteint après la première conférence de Berlin (le cessez-le-feu est en vigueur, le blocus pétrolier a été levé, le pouvoir exécutif temporaire a été mis en place et approuvé par le parlement). Il est indiqué en même temps que les Libyens doivent travailler plus activement pour que les élections se déroulent à temps et leurs résultats soient acceptés par toutes les parties. Le document appelle également à garantir un "retrait mutuel, proportionnellement équilibré et successif d'éléments armés étrangers, y compris le retrait immédiat de mercenaires étrangers".
Le paragraphe concernant le retrait de militaires et de mercenaires étrangères, dont le nombre s'élève à près de 20.000 hommes, selon l'Onu, est le plus douloureux. L'accord de cessez-le-feu signé en octobre exigeait le retrait de toutes les forces militaires étrangères d'ici le 23 janvier. Mais la situation n'a pas significativement changé depuis. Rappelons que selon un accord avec le GUN en Libye se trouvent des militaires turcs et des mercenaires syriens envoyés par Ankara, ainsi que des mercenaires du Tchad, du Soudan et de Syrie combattant pour l'ANL. Sachant que la Turquie, se référant à des accords officiels avec les autorités précédentes de Tripoli, n'a pas l'intention de partir, bien qu'elle exige le retrait de mercenaires qui soutiennent l'ANL. Les autres parties en principe ne reconnaissent pas leur présence en Libye mais insistent sur le départ des Turcs. Au final, les nouvelles autorités libyennes, qui ont pour objectif de réconcilier les différentes positions, se sont retrouvées dans une situation difficile. En avril, la ministre libyenne des Affaires étrangères Najla Mangouch a mentionné que Tripoli était en négociations avec Ankara sur le retrait de ses troupes de son territoire, mais ses propos n'ont pas été soutenus.
La stagnation du processus a été également mentionnée par Jan Kubis, récemment nommé au poste d'envoyé spécial de l'Onu pour la Libye. A la veille de la conférence de Berlin il s'est entretenu avec les principaux acteurs en Libye, ainsi qu'avec les médiateurs internationaux.
"Il est peu probable qu'un plan réaliste pour le départ factuel des combattants étrangers soit adopté ou même proposé", a déclaré Jalel Harchaoui, chercheur à l'Institut néerlandais des relations internationales Clingendael. Néanmoins, il trouve importante l'organisation de la conférence à Berlin. "Je pense que les élections pourraient effectivement se dérouler cette année et ce en grande partie grâce à la pression exercée sur les Libyens par la communauté internationale", a-t-il conclu.
Alexandre Lemoine
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