Bruno Tertrais, le directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique et le spécialiste de l’analyse géopolitique souligne qu’après le terrorisme et les migrations, la pandémie favorise le retour des frontières.
Bruno Tertrais a publié avec Delphine Papin une nouvelle édition de L’Atlas des frontières. Murs, migrations, conflits (Editions Les Arènes). L'expert fait la conclusion à travers un entretien réalisé par Le Figaro que les frontières ont «gagné» et pas seulement en Europe. Plusieurs facteurs géopolitiques ont provoqué ce retour et la pandémie de la Covid-19 est un des éléments qui vient en rajouter une couche sur ce processus.
La fin d'un cycle. C'est comme la formation d'une constellation dans l'espace qui est en train de reprendre une certaine forme initiale sous la poussée de la matière. Le Figaro écrit en citant l'expert que «les conflits au Moyen-Orient, le terrorisme, les migrations, le Brexit, les tensions en Méditerranée orientale, les provocations chinoises en mer de Chine du Sud et aujourd’hui la crise sanitaire» sont les éléments qui, d'une certaine manière, forment cette matière qui pousse au retour de «la question des frontières».
Trente ans après la fin de la Guerre froide, nous assistons à la fin d'un cycle. Le rêve d'une planète ouverte s'est évanoui. Principalement, les trois éléments qui sont le terrorisme, les migrants et la pandémie, ont provoqué ce changement et cela peut être compris comme étant un triple choc qui a rendu légitime le retour des frontières et plus précisément, le fait qu'elles devaient être contrôlées. L'Europe connaît, en effet, des actions de forces simultanées. D'une part, les effets combinés du terrorisme, des migrations et de la pandémie augmentent les restrictions normalement temporaires à la liberté de mouvement. D'autre part, l'érection de frontières vise à indiquer la souveraineté de l'Etat. Mais, le géopolitologue explique que «les frontières sont comme des vaccins: des effets secondaires sont possibles, mais le rapport coût-bénéfice de leur ouverture reste très positif».
Ce n'est pas seulement un processus européen. Bruno Tertrais nous invite à ne pas seulement considérer l'Europe mais de voir ce qui se déroule ailleurs sur le globe. L'expert souligne, ainsi, que nous traversons une période où de nombreux Etats encore jeunes tentent de délimiter clairement leur territoire et que cela se joue, par exemple, dans la péninsule arabique et en Afrique. «Ainsi, la question du retour des frontières n'est pas exclusivement européenne», explique-t-il contrairement aux idées reçues en Occident. Cette remarque nous permet de comprendre une réaction quasi biologique qui a lieu, en général et actuellement, sur le globe et que le nationalisme n'est pas la panacée des Etats européens. Les Etats africains agissent aussi de la sorte et montrent que des slogans politiques en Occident, faisant la promotion naïve de l'ouverture des frontières pour laisser venir des migrants en masse, sont en train de prendre de l'eau car elle ne reflète tout simplement pas la réalité géopolitique. Sur ce point là, Bruno Tertrais, qui voit une recrudescence du nationalisme dans le monde, y compris dans des démocraties comme les Etats-Unis et l'Inde, pour lesquelles la construction de frontières fait partie de la politique intérieure, cite Donald Trump quand celui-ci a déclaré que «les gens veulent voir des frontières» et revient sur le phénomène du mouvement No Border qui prône l'abolition des frontières pour dire qu'ils ne représentent rien de plus qu'eux-mêmes.
De l'analyse du directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique, on en retire que les frontières terrestres changent très peu car nous ne sommes plus au 19e siècle et que lorsqu'un Etat se sépare, il recourt à des frontières régionales préexistantes. Par exemple, le récent conflit au Haut-Karabakh est devenu pour nous un exemple de stabilité des frontières, car la ligne frontalière internationalement reconnue a été rétablie en novembre 2020. Mais, bien sûr, comme le note le géopolitologue, il y a des exceptions. Il indique que le vrai problème pour l'Europe est de renforcer ses frontières extérieures et il pense que nous avons commis la même erreur avec Schengen qu'avec l'euro. Ce sont deux grands et beaux projets. Cependant, nous avons créé une union monétaire sans politiques économiques convergentes et nous avons instauré la liberté de mouvement sans protéger les frontières extérieures. Le seul moyen de garantir la légitimité de la libre circulation est de renforcer ces frontières extérieures.
Cependant, d'après son analyse présentée dans l’entretien du Figaro, il serait erroné de considérer les frontières comme un remède miracle contre le terrorisme puisque dans la plupart des Etats, les attentats terroristes sont commis par des citoyens ou des étrangers qui sont entrés légalement.
Enfin, on découvre, toujours selon l'expert, que les puissances maritimes néo-impérialistes comme la Chine ou la Turquie jouent leur propre jeu, ne prêtant aucune attention au droit de la mer. «En tout cas, une nouvelle bataille pour les frontières se livre en mer», résume Bruno Tertrais car «c'est en mer que vont se jouer les nouveaux conflits frontaliers».
Philippe Rosenthal
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