L'élection présidentielle biélorusse de dimanche dernier a déstabilisé la situation dans le pays. Depuis quatre jours et quatre nuits, les manifestations ne cessent pas. Malgré les répressions violentes par les forces de l'ordre, les autorités ne parviennent pas à reprendre le contrôle de la situation.
L'événement le plus marquant en Biélorussie, après l'annonce par la Commission électorale centrale des résultats du vote (80,08% pour le président sortant Alexandre Loukachenko, 10,09% pour Svetlana Tikhanovskaïa, moins de 2% chez les trois candidats suivants et 4,6% contre tous), a été le départ du pays de Svetlana Tikhanovskaïa. Etant donné qu'elle se distançait continuellement des manifestations, son départ n'a pas significativement affecté les manifestations de l'opposition.
La différence entre les résultats officiels et les sondages officieux (il n'en existe pas d'officiels en Biélorussie) est immense et donne un résultat pratiquement inverse. Leur véracité est impossible à vérifier, et seulement la ténacité et l'ampleur des protestations indiqueront indirectement si c'est le cas.
De cette manière, les résultats officiels de l'élection sont mis à l'épreuve. Toutefois, les résultats de cette épreuve seront considérablement influencés par les agissements des autorités et des forces de l'ordre, qui sont très intenses.
Un départ soudain
Anna Krassoulina, porte-parole de Svetlana Tikhanovskaïa, et Maria Kolesnikova, représentante de son QG de campagne, décrivent les circonstances de son départ soudain de Biélorussie. Ce mardi 11 août, Svetlana Tikhanovskaïa, accompagnée par ses collaborateurs, s'est rendue à la Commission électorale centrale afin de déposer une plainte contre les multiples violations au cours de la présidentielle. Elle a été admise à y entrer seulement avec son avocat.
Mais sans que la candidate puisse déposer sa plainte: des inconnus l'ont amenée pour lui "parler", sans son avocat. Après trois heures d'interrogatoire, Svetlana Tikhanovskaïa a dit à son avocat qu'elle avait pris sa décision, après quoi elle est repartie avec les hommes qui l'avaient interpellée. Le QG de Svetlana Tikhanovskaïa n'a jamais revu sa candidate, qui a fait son apparition le lendemain en Lituanie.
De là elle a envoyé une vidéo expliquant qu'elle était une femme faible et qu'elle avait pris une "décision difficile", car "Dieu vous garde de vous retrouver devant un choix comme moi". Plus tard, les autorités biélorusses ont publié une autre vidéo enregistrée durant ce fameux interrogatoire de trois heures dans le bureau du président de la Commission. On y voit la candidate lire manifestement un texte écrit sur un papier en demandant aux Biélorusses de cesser les manifestations.
Du moins pour l'instant, l'émigration de Svetlana Tikhanovskaïa n'a pas apaisé la foule de manifestants. Cela se serait certainement produit si les manifestants voulaient faire d'elle leur présidente, mais ils ont de toute évidence un autre objectif – faire partir Alexandre Loukachenko.
Tandis que personne n'organise de manifestations pour défendre le vainqueur de la présidentielle, bien qu'il soit en situation difficile. Dans les rues seulement la police et l'armée sont du côté du pouvoir. C'est peut-être aussi une sorte de manifestation – le rejet des méthodes de rue en principe.
Le vainqueur de l'élection
La télévision biélorusse, qui reprend les propos d'Alexandre Loukachenko, affirme dans ses reportages que seulement des étrangers, des drogués et des criminels participent aux émeutes, alors que la protestation est payée par le QG de Viktor Babariko emprisonné. Le gouvernement a expliqué l'absence de l'internet dans le pays par les "ruses de l'étranger". De plus, Alexandre Loukachenko a déclaré qu'aux manifestations participaient des chômeurs, en ordonnant de donner du travail à tout le monde.
Pendant ce temps, une dizaine de présentateurs de journal et d'émission de divertissement ont démissionné de différentes chaînes biélorusses pour exprimer leur désaccord avec la politique des rédactions.
La pression durcit
Parmi les faits: des policiers ont tiré avec des armes traumatiques sur des balcons d'immeubles résidentiels. Ils motivent ces tirs par le fait que, selon la police, les habitants se trouvant sur leur balcon soutiennent les manifestants. Plusieurs incidents ont eu lieu avec des conducteurs et des motards. Motif: dans les bouchons ils klaxonnent en soutien aux manifestants.
Pour une telle violation du code de la route la police brise les vitres, les phares et les miroirs, et cela peut aller encore plus loin. Les images relayées par l'opposition montrent que la police fait sortir de la voiture le conducteur et ses passagers, puis les bat au sol avec les matraques et les pieds. Sachant que les victimes de ces violences policières deviennent aussi bien les "criminels" qui klaxonnent pour soutenir les manifestants que de simples passants.
Après un passage à tabac et une interpellation de manifestants ou de passants, les personnes arrêtées subissent une "rééducation" en détention provisoire. Une vidéo filmée près des commissariats de police, ainsi que les nombreux témoignages des interpellés, parlent de passages à tabac et d'humiliations des citoyens capturés par les policiers. Leur violence démonstrative ou due à une autre raison est également constatée par des observateurs extérieurs qui cherchent à en comprendre la raison.
Un autre incident dangereux a été l'usage des armes à feu contre des manifestants. A Brest, un policier a tiré dans la tête d'un manifestant avec son pistolet Makarov. La porte-parole du ministère de l'Intérieur Olga Tchemodanova a qualifié les actes du policier de légitime défense. De plus, sur Instagram a été publiée une vidéo où un soldat appelé se vante d'avoir reçu des balles réelles dans son unité.
Jour et nuit
La réaction de la société au durcissement des répressions était inattendue, aux manifestations de nuit se sont ajoutées les protestations de jour. Uniquement des femmes y participent certainement dans l'espoir que les policiers n'oseront pas les frapper. Elles ont formé mercredi des rangs en tenant des fleurs le long des routes. Pour le moment, la police ne fait que les avertir de l'illégalité des réunions, mais ne les disperse pas par la force.
Les manifestations de nuit ressemblent à présent aux courses des policiers derrière des groupes de manifestants. Ces derniers n'érigent plus de barricades. Comme auparavant, il n'y a pratiquement pas d'actes de vandalisme ou de tentatives de capturer des bâtiments administratifs.
Selon des informations officieuses, des travailleurs se joignent de plus en plus à la protestation, tantôt sous la forme de grèves, tantôt de rassemblement dans leur entreprise. Ainsi, la protestation n'a pas disparu et tente de prendre une forme qui rendra impossible l'usage de la force contre les manifestants par les autorités.
Le plan extérieur
Le leitmotiv des commentateurs qui défendent la légitimité de la victoire d'Alexandre Loukachenko à l'élection présidentielle (ou de ses partisans indépendamment des résultats réels) est le thème de l'influence extérieure sur événements en Biélorussie. La Pologne est désignée comme étant la plus intéressée en tant que pays ayant des chances de mettre en place en Biélorussie un régime contrôlé. A l'heure actuelle, elle est accusée de financer les médias d'opposition. Mais de facto, la Pologne est le pays d'émigration forcée des politiques d'opposition et des blogueurs biélorusses qui travaillent sur son territoire.
Voici la position officielle des pays voisins par rapport aux faits récents. Le président lituanien Gitanas Nauseda a déclaré que son pays, ainsi que la Lettonie et la Pologne ont préparé un plan de désescalade de la crise en Biélorussie. Ce plan prévoit la constitution d'un "conseil national" composé de représentants du pouvoir et de la société civile en tant que plateforme de dialogue entre le gouvernement et l'opposition pour régler cette crise. De plus, le chef de l'Etat lituanien a appelé à cesser la violence envers les manifestants et à libérer les personnes arrêtées pendant les manifestations.
Le secrétaire d'Etat américain Mike Pompeo, qui s'est rendu à Minsk avant la présidentielle et qui s'est entendu avec Alexandre Loukachenko sur la vente à son pays du pétrole américain, a été prudent dans ses déclarations. "Nous avons observé l'élections qui, selon nous, n'était pas libre et honnête", a déclaré Mike Pompeo en appelant l'UE à des "démarches concrètes" vis-à-vis de la Biélorussie. De cette manière, d'après Washington, les sanctions contre Minsk sont une tâche qui incombe à l'UE, alors que les Etats-Unis ont l'intention de continuer de vendre du pétrole à la Biélorussie.
Le président chinois Xi Jinping a été le premier à féliciter Alexandre Loukachenko avec sa victoire. Ce dernier a également été félicité par la Russie, avec laquelle ce pays forme l'Etat de l'Union, et par le Kazakhstan. Les pays européens font pour l'instant preuve de retenue au sujet des résultats de la présidentielle, en critiquant l'irrespect des normes des élections démocratiques.
Alexandre Lemoine
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