L'interview du président français Emmanuel Macron à l'hebdomadaire britannique The Economist a fait exploser l'espace médiatique européen. Le dirigeant de l'une des puissances de l'Otan a parlé de "la mort cérébrale de l'Otan", ce qui, selon lui, a poussé l'Europe au bord du précipice.
Ce diagnostic peu rassurant du chef de l'Etat français s'explique par l'absence d'une interaction entre les Etats-Unis et les autres membres de l'Alliance dans la prise de décisions stratégiques. La dernière goutte d'eau à faire déborder le vase de la patience de M. Macron a été évidemment la décision de Washington de retirer ses troupes de Syrie sans consultations préalables avec les partenaires. Or la France est l'allié des Américains qui a le plus activement participé au conflit syrien et a renforcé son contingent à plusieurs reprises au Nord du pays à l'exigence du Pentagone. Le retrait d'urgence de ce contingent à cause du départ des Américains a forcément impacté l'amour propre des Français. Un autre facteur qui a indigné Emmanuel Macron a été le comportement de la Turquie désobéissante, qui a lancé une opération militaire contre les alliés kurdes de l'Otan.
En parlant de l'Otan, le président français a souligné que "l'Alliance ne fonctionne que si le garant de dernier recours fonctionne comme tel. Je dirais que nous devrions réévaluer la réalité de l’OTAN à la lumière de l’engagement des États-Unis". Une fois de plus M. Macron a appelé l'Europe à se considérer comme une force géopolitique et à décider de son propre sort.
La réaction de la communauté internationale aux propos du président français était prévisible. La chancelière allemande Angela Merkel a exprimé son désaccord avec les dures formulations d'Emmanuel Macron, même si elle a reconnu qu'il existait des problèmes dans l'activité de l'Alliance. Le secrétaire général de l'Otan Jens Stoltenberg, comme il se doit pour un responsable, a déclaré que l'Otan était une base sans alternative de la sécurité européenne. Varsovie et les pays baltes ont immédiatement traité M. Macron d'"agent de Poutine", et un journaliste polonais a même directement insulté le dirigeant français en l'appelant "idiot utile du Kremlin".
La plupart des membres de l'Otan ont préféré garder le silence, en affichant davantage un soutien silencieux à Emmanuel Macron qu'un désaccord. Le secrétaire d'Etat américain Mike Pompeo, sans se prononcer sur "la mort cérébrale", a déclaré que l'Otan était un partenariat stratégique crucial dans l'histoire. Le président autrichien Alexander Van der Bellen a confirmé ce diagnostic: «Je pense que Macron a raison en ce qui concerne le diagnostic sur différents points. Comment s’en sortir, nous en discuteront encore longuement." De son côté la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères Maria Zakharova a qualifié ce diagnostic de "mots d'or".
Qu'arrive-t-il à la plus grande alliance militaire dans l'histoire de l'humanité?
Premièrement, les relations se sont sérieusement aggravées entre les Etats-Unis et d'autres puissances de l'organisation. Le président américain exige par ultimatum des alliés d'accroître les dépenses pour la défense jusqu'à 2% du PIB. Donald Trump pense que le prix payé par les partenaires européens pour le "parapluie nucléaire" des Etats-Unis est insuffisant, alors que leur politique sur certains dossiers est hypocrite. Cela concerne notamment le projet Nord Stream 2, pour lequel le président américain a passé une soufflante à Stoltenberg bégayant. Les lasses promesses d'Angela Merkel d'augmenter les dépenses de l'Allemagne pour la défense jusqu'à 1,5% d'ici 2024 et jusqu'à 2% d'ici 2031 ne conviennent pas à Washington.
Deuxièmement, les différends s'accentuent entre les membres occidentaux de l'Alliance et ses jeunes membres. La vieille Europe est particulièrement irritée par la Pologne, qui prétend au rôle de "femme préférée" du patron américain.
Troisièmement, les problèmes émanant de la Turquie grandissent. Contre l'avis général Ankara a acheté à la Russie les nouveaux S-400, a lancé une opération dans le Nord de la Syrie, et en entendant les reproches otaniens promet ouvertement de quitter l'Alliance si ses intérêts n'étaient pas respectés.
Tout cela est signe de crises qui se déroulent au sein de l'Otan et qui ont été dénoncées par M. Macron. Le président français ambitieux, revendiquant le rôle de leader informel du Vieux Continent, a appelé plusieurs fois à changer d'approche de la sécurité européenne. En 2017, il a avancé l'Initiative européenne d'intervention (IEI) dans le cadre de laquelle il est proposé de créer des forces armées européennes de réaction rapide.
La participation à l'IEI, confirmée actuellement par dix pays européens, pourrait marquer un premier pas vers la réalisation du plan global d'Emmanuel Macron pour créer une armée européenne indépendante des Etats-Unis. Selon le chef de l'Etat français, une telle armée pourrait garantir la sécurité de l'Europe au vu de l'imprévisibilité de la politique américaine, qui remet en question l'application de l'article 5 de la charte de l'Otan, qui stipule que l'attaque contre un membre de l'Otan est automatiquement considérée comme une attaque contre tous ses membres.
Il est parfaitement évident que le rôle principal dans l'armée européenne reviendra aux forces armées françaises comme étant les plus puissantes et disposant de l'arme nucléaire. A son tour, Emmanuel Macron pourrait prétendre à raison au rôle de grande figure géopolitique au même titre que Charles de Gaulle, qui avait fait sortir, en février 1966, la France de l'Otan ne voulant pas complaire aux intérêts de Washington.
En décembre, Londres accueillera un sommet solennel de l'Otan consacré au 70e anniversaire de l'Otan. Il fera le bilan de l'activité de l'organisation, évoquera les défis actuels et les plans de Jens Stoltenberg de faire de l'Otan un "pilier de stabilité dans les années à venir". Après le diagnostic de M. Macron la mise en œuvre de ces projets suscite de nombreuses questions.