Les résultats des législatives iraniennes du 21 février ont été annoncés. Pendant quatre ans le parlement iranien sera contrôlé par les adeptes des principes de la révolution islamique, c'est-à-dire les partisans de la ligne conservatrice.
Quel sera l'impact du parlement sur les décisions de l'Iran dans le cadre de l'accord nucléaire, le Plan d'action global commun, et dans l'ensemble sur le sort du programme nucléaire iranien?
Il convient de noter avant tout que le système politique de la république islamique fonctionne de telle sorte que le parlement, malgré tout le démocratisme de cette institution, n'est pas la dernière instance de prise de décisions primordiales pour l'Etat et la population. Elles sont prises avant tout par le pouvoir suprême en la personne du dirigeant à vie et du guide spirituel de la république, actuellement l'ayatollah Ali Khamenei, ainsi que plusieurs organes consultatifs composés de personnalités chiites religieuses et politiques les plus influentes. Même si leur composition peut changer, ce changement n'est pas aussi fréquent ou radical qu'au parlement.
Ainsi, le système du pouvoir établi en 41 ans d'existence de la république islamique n'implique pas de changements en politique étrangère et qui plus est dans la doctrine de la défense de Téhéran. Mais nous assisterons indéniablement à une "droitisation" dans ces secteurs dans les années à venir.
Les événements autour de l'accord nucléaire iranien et l'aggravation de la situation dans la région poussent l'Iran à défendre fermement ses intérêts et sa souveraineté nationale. Le gouvernement modéré du président Hassan Rohani et le parlement de la 10e assemblée, avec une majorité de députés réformateurs, ont patiemment attendu des démarches réelles des signataires européens du Plan d'action, qui auraient permis à l'Iran de profiter des fruits de l'accord nucléaire. Car de son côté l'Iran a tenu tous ses engagements dans les délais impartis, en réduisant significativement son programme nucléaire en échange de la levée des sanctions.
Rappelons qu'après le retrait de l'administration Trump du Plan d'action en mai 2018, Washington a décrété contre l'Iran des sanctions sans précédent, en compliquant considérablement la situation économique de Téhéran. La démarche américaine et l'inaction de l'Europe ont poussé l'Iran à suspendre ses engagements dans le cadre du Plan d'action, à relancer les centrifugeuses arrêtées, à augmenter l'enrichissement de l'uranium au-dessus de la concentration admise de 3,67% jusqu'à 4,5%, ainsi qu'à accumuler l'uranium enrichi au-delà de 300 kg autorisés. Sachant que l'Organisation de l'énergie atomique d'Iran (OEAI) a constaté en janvier 2020 que Téhéran avait atteint le potentiel d'enrichir l'uranium jusqu'au niveau de concentration désiré, et que les réserves d'uranium enrichi avaient déjà dépassé de quatre fois le montant admis par l'accord.
En effet, le gouvernement Rohani, où le président lui-même, le ministre des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif et le vice-président et patron de l'OEAI Ali Akbar Salehi ont fait leurs études en Occident, prônait les négociations sur le problème nucléaire et comptait énormément sur une entente.
En même temps, l'ayatollah Ali Khamenei a averti plusieurs fois qu'il ne fallait pas faire confiance à Washington. Et son entourage le plus clérical prônait la restriction de tout contact avec l'Occident. Mais le pouvoir suprême a tout de même donné le feu vert à l'époque pour entamer les négociations et signer un accord, en partageant ainsi la responsabilité pour son échec factuel avec le gouvernement plus libéral.
En suspendant les engagements dans le cadre du Plan d'action, le gouvernement iranien déclare néanmoins à tous les niveaux que l'Iran est prêt à tout moment à respecter ses engagements dès que les signataires européens rempliront leur part du contrat. Par exemple, en initiant enfin le mécanisme INSTEX garantissant les paiements en euros pour les exportations de pétrole iranien et d'autres opérations commerciales extérieures.
Il faut également attendre l'élection du président du parlement, ce qui servira d'un certain indice pour comprendre les futures démarches de l'Iran. Si cette place était prise par le néoconservateur et l'ancien maire de Téhéran Mohammad Bagher Ghalibaf, qui a obtenu le plus grand nombre de voix aux dernières élections, il est à supposer que le parlement ne s'opposerait pas aux efforts du gouvernement pour préserver l'accord. Mohammad Bagher Ghalibaf avait déjà exprimé plusieurs fois son soutien au Plan d'action.
Si les Américains et les Européens ne laissaient pas le choix à l'Iran et ce dernier était contraint de renoncer définitivement à l'accord, le risque du retrait de Téhéran du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) deviendrait alors réel. Le président Rohani a annoncé qu'une telle perspective serait envisageable quand les signataires européens ont promis de lancer le mécanisme "réversif" d'examen des litiges. Telle a été la réaction de l'Europe à la suspension par les Iraniens de leurs engagements. Le lancement de ce mécanisme pourrait provoquer l'adoption de sanctions internationales sur la base des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies. Le projet de loi sur le retrait du TNP est à l'étude du parlement iranien. Mais même en admettant que cette décision était prise, le retrait ne signifierait pas du tout que Téhéran entamerait la construction de la bombe nucléaire. Outre les engagements internationaux la république iranienne est attachée à la doctrine nationale interdisant d'élaborer et de posséder une arme de destruction massive. Alors que l'ayatollah Khamenei a publié une fatwa interdisant l'arme nucléaire encore en janvier 2013. Dans une interview accordée au magazine allemand Der Spiegel en janvier 2020, le chef de la diplomatie iranienne Mohammad Javad Zarif a souligné que la décision de ne pas créer la bombe ne résultait pas du TNP. "Cela découle de nos propres convictions morales et stratégiques", dit-il.
Cependant, Washington et Tel Aviv continuent d'effrayer le monde entier par "la menace nucléaire iranienne". Et ils ont trouvé un nouveau prétexte. Le 9 février, l'Iran a procédé au lancement de la fusée Simorgh embarquant le satellite Zafar. Ce lancement a échoué. Le satellite destiné aux fins purement civiles n'est pas sorti en orbite. Or les Etats-Unis ont cédé à l'hystérie: comme quoi la technologie du lanceur était utilisable pour les missiles capables d'embarquer des ogives nucléaires. Mais en suivant cette logique les programmes spatiaux de tous les pays peuvent être considérés comme une menace pour le monde. En avril 2019, le ministre iranien des Technologies de l'information et des communications Mohammad Javad Jahromi a expliqué: "Les fusées conçues actuellement en Iran pour lancer des satellites ne sont pas une couverture pour un autre type d'activité balistique." Et le ministre iranien de la Défense le général Amir Hatami a confirmé aux journalistes le 12février 2020 que "les lanceurs n'ont rien à voir avec le programme balistique" de l'Iran.
L'hystérie déclenchée par les Etats-Unis n'est qu'une nouvelle tentative de faire pression sur l'Iran. Toutefois, il est peu probable qu'elle impacte l'activité de défense et spatiale de l'Iran, qui considère le développement dans ces domaines comme son droit souverain inaliénable. De plus, la construction de missiles et l'espace ne dépendent pratiquement pas de l'avis des électeurs aux élections concrètes, car ces secteurs se développent dans le cadre des programmes à long terme. D'ailleurs, le programme balistique est entièrement géré par les centres de recherche et les entreprises du Corps des gardiens de la révolution islamique. Cette élite des forces armées iraniennes est étroitement liée à l'élite politique conservatrice du pays.
Il est donc fort à parier que le nouveau parlement ne constituera pas un obstacle dans la prise de décisions liées aux démarches de l'Iran en ce qui concerne l'accord nucléaire et la défense.