Quoiqu’on en dise, les relations entre alliés de l’Otan sont désormais loin d’être au beau fixe. Si depuis déjà un certain temps, c’est la Turquie du président Erdogan qui est pointé du doigt par les ultra-atlantistes d’être un cheval de Troie dans l’Organisation du traité de l’Atlantique nord, désormais certains pays vont jusqu’à en accuser la France de Macron. Que se passe-t-il vraiment au sein de la famille atlantiste?
Lors du dernier Sommet de l’Otan à Londres, les débats houleux n’ont pas manqué. Si les innombrables pressions visant la Turquie ont été maintes fois abordés, notamment celles venant des USA, pour qu’Ankara mette fin à son contrat avec la Russie dans le cadre de la livraison des systèmes S-400 – pressions auxquelles la Turquie a répondu par un non catégorique, désormais la dispute «familiale» s’élargit, y compris là où l’on s’attendait le moins. Ainsi, le ministre polonais des Affaires étrangères, Jacek Czaputowicz, a déclaré que la France actuelle est le «cheval de Troie» de la Russie https://www.nytimes.com/2019/12/04/world/europe/nato-future-trump-macron.html. Ni plus, ni moins.
Essayons maintenant de comprendre qu’est-ce qui a pu pousser à ce que la famille otanesque, qui paraissait tellement unie et infaillible à la chute de l’URSS, en arrive là. Et pourquoi Emmanuel Macron, celui qui était jusqu’à alors récemment chouchouté par les principaux médias mainstream, et notamment anglo-saxons, soit aujourd’hui sujet à critiques de la part de ces mêmes médias, notamment Financial Times ou encore Bloomberg.
Plusieurs raisons peuvent probablement être mentionnées. Si au départ, l’actuel chef de l’Elysée paraissait un partisan déclaré et assumé de l’establishment occidental général, avec à sa tête les USA, aujourd’hui plusieurs faits lui sont reprochés par les mêmes qui lui applaudissaient encore hier. Tout d’abord, sa volonté de remplir le manque de leadership à l’échelle européenne, ce que lui a valu d’être plusieurs fois comparé à Napoléon par les analystes anglo-saxons. Et connaissant le manque d’amour de ces mêmes Anglo-Saxons, surtout des Britanniques, pour ce personnage historique important de l’histoire française et européenne, le parallèle ne peut donc être considéré comme étant un compliment. D’autre part, ses appels à stopper pour le moment l’élargissement de l’Union européenne à de nouveaux membres, ne peut aucunement plaire à Washington. Sachant que c’est justement ce dernier qui tire profit d’un tel élargissement. De même qu’il a déjà tiré un large profit de l’élargissement de l’UE aux membres de « l’Est », que ce soit la Pologne, la Roumanie, ou encore les pays baltes – représentant tous les promoteurs par excellence des intérêts étasuniens au sein de la famille européenne. Et ce aussi bien sur le plan sécuritaire, énergétique ou économique.
Enfin, et il faut le reconnaitre à Macron – il fut pour le moment l’un des rares, sinon le seul, membre des élites occidentales à avoir reconnu de facto la fin du monde unipolaire. Evidemment, cela est quelque chose que nous avons annoncé il y a de cela plusieurs années, mais vaut mieux tard que jamais pour la reconnaitre cette réalité. Cette reconnaissance de fait évidemment ne peut que déplaire aux partisans jusqu’au-boutistes de l’ordre unipolaire. Ceci étant dit, cette déclaration du président français n’a jamais été une déclaration d’amour pour la nouvelle réalité multipolaire. Cela fut simplement une reconnaissance pragmatique de ce que le monde est devenu. Ceci étant dit aussi, Macron avait par la même occasion déclaré que dans le cadre de cette nouvelle réalité l’Europe doit être un acteur, et non pas un simple observateur. Une autre déclaration qui évidemment ne peut que déplaire aux élites washingtoniennes, pour qui toute volonté d’émancipation, aussi réduite soit-elle, de l’Europe vis-à-vis des Etats-Unis représente toujours un danger de premier degré. Ajoutez à cela les appels au renforcement de la coopération militaire intra-européenne, autre domaine auquel Washington accorde une attention particulière, et le tour est joué. Sachant que jusqu’à aujourd’hui la présence de troupes étasuniennes sur le sol européen est justifié par la nécessité «de protéger ses alliés», une présence qui d’ailleurs permet largement aux USA de maintenir jusqu’à ce jour un contrôle sur la politique européenne dans son ensemble et dans divers secteurs.
Evidemment, le fait de considérer la France de Macron comme un «cheval de Troie» de la Russie est pour le moins assez ridicule. Car même si l’on puisse reconnaitre les quelques déclarations logiques et pragmatiques du leader français, cela ne fait aucunement de lui pour le moment un allié du monde multipolaire. D’ailleurs, ses nombreuses autres déclarations visant la Russie et d’autres nations indépendantes pro-multipolaires, ainsi que des intérêts clairement divergents à divers endroits du monde, d’Amérique latine en Afrique, en passant par le monde arabe, le confirment pleinement. Tout comme ses critiques de la Turquie, toujours lors du dernier sommet otanesque, pour avoir «osé» acheter des systèmes antimissiles russes.
Le fait donc d’entendre cette accusation visant la France de la part d’un pays comme la Pologne – cheval de Troie déclaré et assumé des USA en Europe, fait sérieusement sourire et démontre une sorte de division en groupes en termes d’assujettissement à Washington au sein de la famille otanesque. D’un côté la Turquie qui mène aujourd’hui une politique indépendante et souveraine dans le cadre de ses propres intérêts, tout en maintenant son « membership » au sein de l’Otan, la France et certains autres pays de la « vieille Europe » qui tout en étant sous large influence US se cherchent dans un monde en pleine ébullition, et enfin les marionnettes pleinement assumées des Etats-Unis dans ce cercle en la personne des Pologne, Roumanie et autres pays baltes. Des divisions en groupes en termes de russophobie par la même occasion.
Mikhail Gamandiy-Egorov