21.08.2024
Dans un document classifié approuvé en mars, Joe Biden a ordonné aux forces américaines de se préparer à d’éventuelles confrontations nucléaires coordonnées avec la Russie, la Chine et la Corée du Nord. Le monde repart dans la course aux armements nucléaires.
Nouvelle stratégie nucléaire des USA. «Le président Joe Biden a approuvé en mars un plan stratégique nucléaire hautement confidentiel pour les États-Unis qui, pour la première fois, réoriente la stratégie de dissuasion américaine pour se concentrer sur l’expansion rapide de l’arsenal nucléaire de la Chine», a fait savoir le New York Times. «Ce changement intervient alors que le Pentagone estime que les stocks de la Chine rivaliseront en taille et en diversité avec ceux détenus par les États-Unis et la Russie au cours de la prochaine décennie», continue le quotidien anglophone.
CNN a, par ailleurs, informé que les États-Unis se sont «préparés rigoureusement» dès 2022 à une attaque nucléaire russe».
«La Maison Blanche n’a jamais annoncé que Biden avait approuvé la stratégie révisée», appelée Nuclear Employment Guidance (Guide pour l’emploi nucléaire), qui «vise également, pour la première fois, à préparer les États-Unis à d’éventuels défis nucléaires coordonnés de la Chine, de la Russie et de la Corée du Nord», est-il rapporté, signalant: «Le document, mis à jour tous les quatre ans environ, est si hautement classifié qu’il n’existe aucune copie électronique, seulement un petit nombre de copies papier distribuées à quelques responsables de la sécurité nationale et commandants du Pentagone». «La Maison Blanche n'a pas annoncé publiquement l'approbation du plan par Biden, mais une notification non classifiée au Congrès est attendue avant qu'il ne quitte ses fonctions», détaille U.S.News.
«Le président a, récemment, publié des directives actualisées sur l'emploi des armes nucléaires pour tenir compte de plusieurs adversaires dotés de l'arme nucléaire», a déclaré ce mois-ci Vipin Narang, le professeur de sécurité nucléaire et de sciences politiques et membre du programme d'études de sécurité du Massachusetts Institute, qui a servi au Pentagone. «Et en particulier», a-t-il ajouté, «les orientations en matière d’armes expliquent l’augmentation significative de la taille et de la diversité» de l’arsenal nucléaire chinois.
En juin, Pranay Vaddi, directeur principal chargé de la non-prolifération et du contrôle des armements au Conseil de sécurité nationale, a , également, fait, d’après Defence Blog, référence à ce document en posant la question à savoir «si les États-Unis sont prêts à répondre aux crises nucléaires qui éclatent simultanément ou séquentiellement, avec une combinaison d’armes nucléaires et non nucléaires». Il avertit que la nouvelle stratégie met l’accent sur «la nécessité de dissuader simultanément la Russie, la République populaire de Chine et la Corée du Nord».
«Dans le passé, la probabilité que des adversaires américains puissent coordonner leurs menaces nucléaires pour déjouer l’arsenal nucléaire américain semblait faible. Mais, le partenariat naissant entre la Russie et la Chine et les armes conventionnelles que la Corée du Nord et l’Iran fournissent à la Russie pour le conflit en Ukraine ont fondamentalement changé la façon de penser de Washington», souligne le New York Times. La Russie et la Chine mènent déjà des exercices militaires ensemble. Les agences de renseignement tentent de déterminer si la Russie soutient en retour les programmes de missiles nord-coréens et iraniens.
Le nouveau document rappelle brutalement que celui qui prêtera serment le 20 janvier prochain comme président US sera confronté à un paysage nucléaire modifié et bien plus instable que celui qui existait il y a à peine trois ans. Le président russe, Vladimir Poutine, a menacé à plusieurs reprises d'utiliser des armes nucléaires contre l'Ukraine. «Biden, ainsi que les dirigeants allemands et britanniques, ont amené la Chine et l’Inde à déclarer publiquement que l’utilisation d’armes nucléaires en Ukraine n’avait aucun rôle à jouer, et la crise s’est atténuée, au moins temporairement», a rappelé Richard N. Haass, ancien haut responsable du Département d’État et du Conseil de sécurité nationale de plusieurs présidents républicains, et président émérite du Council on Foreign Relations: «Nous avons affaire à une Russie radicalisée; l’idée selon laquelle les armes nucléaires ne seraient pas utilisées dans un conflit conventionnel n’est plus une hypothèse sûre».
Le grand changement vient des ambitions nucléaires de la Chine. L'expansion nucléaire du pays se déroule à un rythme encore plus rapide que ne l'avaient prévu les responsables du renseignement américain il y a deux ans, motivée par la détermination du président Xi Jinping à abandonner la vieille stratégie consistant à maintenir une «dissuasion minimale» pour atteindre ou dépasser la taille des États-Unis et les arsenaux russes. Le complexe nucléaire chinois est, désormais, celui qui connaît la croissance la plus rapide au monde.
Donald Trump avait prédit avec assurance que Kim Jong Un, le dirigeant nord-coréen, renoncerait à ses armes nucléaires après leurs trois réunions en personne, mais, c’est le contraire qui s’est produit. Kim a doublé sa mise et possède désormais plus de 60 ogives nucléaires, estiment les responsables, ainsi que du carburant pour bien d'autres.
Cette expansion a changé la nature du défi nord-coréen: lorsque le pays ne possédait qu’une poignée d’armes, il pouvait être dissuadé par des défenses antimissiles. Mais, pour le quotidien new-yorkais, «son arsenal élargi se rapproche rapidement de celui du Pakistan et d’Israël, et il est suffisamment important pour qu’il puisse, en théorie, coordonner les menaces avec la Russie et la Chine.
Ce n’était qu’une question de temps avant qu’un environnement nucléaire fondamentalement différent ne commence à modifier les plans et la stratégie de guerre américains, affirment les responsables. «Il est possible qu’un jour nous regardions en arrière et considérions le quart de siècle qui a suivi la guerre froide comme un entracte nucléaire», a averti Vipin Narang. Le nouveau défi est «la possibilité réelle d’une collaboration et même d’une collusion entre nos adversaires dotés de l’arme nucléaire», a-t-il rajouté.
Jusqu’à présent dans la campagne présidentielle, les nouveaux défis posés à la stratégie nucléaire américaine n’ont pas fait l’objet de débats. Biden, qui a passé une grande partie de sa carrière politique en tant que défenseur de la non-prolifération nucléaire, n’a jamais parlé publiquement en détail de la façon dont il répond aux défis de dissuasion des forces élargies de la Chine et de la Corée du Nord. «La vice-présidente Kamala Harris, désormais candidate du Parti démocrate non plus», martèle le New York Times.
Lors de sa dernière conférence de presse en juillet, quelques jours seulement avant d’annoncer qu’il ne briguerait plus l’investiture démocrate pour un second mandat, Biden a reconnu qu’il avait adopté une politique consistant à chercher des moyens d’interférer dans le partenariat plus large sino-russe. «Oui, je le fais, mais je ne suis pas prêt à en parler en détail en public», a, selon le quotidien US déclaré Biden. Il n’a fait aucune référence à la manière dont ce partenariat modifiait la stratégie nucléaire américaine –et n’a pas été interrogé à ce sujet. Depuis la présidence de Harry Truman, cette stratégie s’est majoritairement concentrée sur l’arsenal du Kremlin. Les nouvelles orientations de Biden suggèrent à quelle vitesse cela évolue. La Chine a été mentionnée dans les dernières orientations nucléaires, publiées à la fin de l’administration Trump, selon un compte rendu non classifié fourni au Congrès en 2020. Mais, c’était avant que la portée des ambitions de Xi ne soit comprise.
La stratégie Biden accentue cette orientation pour refléter les estimations du Pentagone selon lesquelles la force nucléaire chinoise passerait à 1.000 d’ici 2030 et à 1.500 d’ici 2035, soit à peu près les chiffres que les États-Unis et la Russie déploient actuellement. «En fait, la Chine semble désormais en avance sur ce calendrier, disent les responsables, et a commencé à charger des missiles nucléaires dans de nouveaux silos repérés par des satellites commerciaux, il y a trois ans», divulgue le média US.
«Il existe une autre préoccupation concernant la Chine: elle a maintenant mis fin à une conversation de courte durée avec les États-Unis sur l'amélioration de la sûreté et de la sécurité nucléaires – par exemple, en acceptant de s'avertir mutuellement des essais de missiles imminents, ou en mettant en place des lignes directes ou d'autres moyens de communication pour garantir que les incidents ou les accidents ne dégénèrent par l’emploi d’armes nucléaires», conclut le New York Times.
Pierre Duval
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