28.02.2023
Des observateurs estiment que les Etats-Unis vont abandonner l'Europe et l'Ukraine pour Taïwan. Et, selon le média allemand, «ce n'est qu'une question de temps avant que les Etats-Unis ne transfèrent leurs ressources en Europe vers l'Asie», et «la visite sensationnelle de Joe Biden à Kiev n'y change rien». Pour les Etats-Unis, l'Europe est géopolitiquement et économiquement moins importante que l'Asie. Et, l’UE risque fortement de devoir gérer toute seule le conflit en Ukraine contre la Russie.
Die Berliner Zeitung, citant l'influent sénateur américain Rand Paul du Kentucky, rappelle que le volume total de l’aide américaine pour l'Ukraine est presque aussi élevé que l'ensemble du budget militaire de la Russie. Le responsable politique américain n'est plus le seul à montrer du doigt les dépenses colossales pour aider l’Ukraine. Le quotidien allemand souligne que «de plus en plus de politiciens et de membres de l'élite de la politique étrangère à Washington remettent en question leur implication extrêmement importante dans la guerre en Ukraine. Parce que de jour en jour les gens réalisent de plus en plus que même les Etats-Unis n'ont pas actuellement les moyens militaires pour mener une guerre sur deux fronts».
Le média allemand rappelle qu’ «un rapport du Washington Journal a révélé que dans un conflit avec Taïwan, toutes les munitions de haute précision seraient épuisées en moins d'une semaine alors que les mêmes armes dont l'Asie pourrait avoir davantage besoin sont, actuellement, fournies aux Ukrainiens. Le complexe de sécurité américain a, donc, appris du jour au lendemain qu'il n'aurait pas assez de munitions pour défendre pleinement Taïwan en cas d'urgence.
Si la production d'armes redémarre, «cela prendra cependant du temps car les armes de haute technologie ne peuvent pas être produites aussi rapidement que les biscuits au pain d'épice», avertit Die Berliner Zeitung qui met en garde sur l’éminence d’une attaque chinoise sur Taïwan: «Alors que le temps s'écoule lentement pour les Etats-Unis, la Chine envoie des signaux de plus en plus clairs d'une intervention militaire».
Les Etats-Unis veulent donner la priorité à l'Asie à l'avenir. Alors que la Chine devient de plus en plus active dans le Pacifique, les dirigeants américains sont de plus en plus nerveux quant à leur rôle en Europe. «Le vieux continent n'est plus la scène la plus importante du monde», martèle Die Berliner Zeitung car «l'Asie a longtemps été le continent le plus peuplé et sera aussi le plus fort économiquement dans quelques années». Selon le FMI, l'Asie représentera encore plus de 50 % de l'économie mondiale au cours de cette décennie, tandis que les 50 % restants sont répartis sur les autres continents, précise le quotidien qui a sa rédaction centrale à Berlin.
La Chine est une menace de puissance économique pour les Etats-Unis. «La répartition du PIB par habitant est similaire. Comme le reste du monde, l'Asie devrait rattraper environ 30.000 dollars de revenu par habitant d'ici la fin de 2030. Aujourd'hui, le revenu par habitant de l'Asie représente environ un tiers de celui des Etats-Unis et 44% de celui de l'UE. Si la Chine atteignait ne serait-ce que la moitié du PIB américain par habitant, elle aurait deux fois plus de puissance économique, soit à peu près le PIB des Etats-Unis et de l'UE réunis. Et nous ne parlons ici que de la Chine», met en garde le quotidien berlinois.
Elbridge Colby, l'ancien secrétaire d'Etat américain au Pentagone dans l'administration Trump est l'un des fers de lance du retrait des Etats-Unis d'Europe à cause de cette réalité: «L'Europe est géopolitiquement et économiquement moins importante que l'Asie et nos alliés européens sont bien plus en mesure à se défendre contre la Russie que nos alliés asiatiques ne le seraient capables de se défendre contre la Chine [qui est] beaucoup plus forte. Tout devrait être concentré sur la Chine pendant que nous dépriorisons tout le reste », dit-il franchement.
Cet homme est l'avenir de la politique étrangère américaine aux côtés d'autres jeunes hommes en herbe qui remettent en question la doctrine américaine antérieure. «Les évaluations de Elbridge Colby trouvent un soutien croissant parmi les élites américaines» et «cela se traduit également par le fait que même la Maison-Blanche est divisée, même si cela passe difficilement au monde extérieur», fait savoir Die Berliner Zeitung. «Le conseiller à la sécurité nationale des Etats-unis, Jake Sullivan, entre autres, préconise de mettre fin rapidement à [ce conflit en Ukraine] afin que nous puissions nous concentrer sur la Chine», continue le quotidien.
Le secrétaire à la Défense [Pentgaone], Lloyd Austin, et le secrétaire d'Etat américain, Antony Blinken, quant à eux, estiment que l'Ukraine devrait recevoir tout le soutien dont elle a besoin pour donner l'exemple au monde si quelqu’un ose défier l'ordre international actuel. Cette remise en question s'inscrit, également, dans le contexte d'un changement de génération. Joe Biden appartient à la dernière génération qui a activement vécu la guerre froide et qui ressent un certain lien avec l'Europe. La jeune génération des responsables politiques aux Etats-Unis, «qui n'a pas cette expérience, voit l'Europe avec beaucoup plus de réalisme et réorganise ses priorités». Cela signifie, donc, de faire passer l'Asie avant l'Europe, «ce qui devrait alarmer tous les responsables du gouvernement de l'UE», avertit le média germanophone.
Le quotiden allemand indique clairement que l'Allemagne doit se préparer car même si «les Américains ne lâcheront pas l'Europe tout de suite», «leurs régions géostratégiques les plus importantes comprennent l'Asie, l'Europe et enfin le golfe Persique». «J'espère que je me trompe. J'ai le sentiment que nous nous battrons en 2025. L'élection présidentielle américaine est de 2024 et offrira à Xi une Amérique distraite. L'élection présidentielle de Taïwan est en 2024 et offre à Xi des motifs d'attaque», a écrit le général de l'armée de l'air Michael Minihan dans une note aux hauts responsables de l'US Air Force.
«Si quelqu'un devait être impliqué dans un conflit en Asie, qui semble actuellement n'être qu'une question de temps, et que les circonstances obligeraient les Etats-Unis à choisir entre soutenir Taïwan, ses alliés asiatiques ou l'Europe, alors les Etats-Unis choisiraient sans aucun doute Taïwan», affirme Die Berliner Zeitung, soulignant que «les Américains croient toujours qu'ils peuvent servir les deux fronts», mais «si la réalité devait alors changer ce bilan-ce qui va dans ce sens- les Américains sont hors d'Europe».
L'Europe, principalement l'Allemagne, n'a donc d'autre choix que de prendre toutes les mesures dans l'urgence pour pouvoir défendre seule l'ordre sécuritaire européen en cas de doute. Personne ne sait combien de temps durera le conflit en Ukraine et quand éclatera celui avec Taïwan. Cette réalité va, automatiquement impacter la défense de la France, également.
«Si les Etats-Unis se retirent de l'Europe, qui n'est pas bien armée, alors des catastrophes ne peuvent plus être exclues», s’inquiètent les collègues de Berlin. «Non seulement l'Ukraine serait perdue pour l'Occident, mais une Europe sans puissance militaire n'aurait aucun contrôle sur ce à quoi ressemblera finalement ce traité de paix. Sans parler du système de sécurité en Europe», rajoute-t-ils. «L'Amérique ne défendra pas l'Europe», a écrit Elbridge Colby, dans sa dernière chronique.
De Berlin,on s’inquiète: «De quels signaux avons-nous encore besoin dans ce pays pour enfin se préparer?»
Olivier Renault
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