15.12.2022
L'UE craint que le partenariat de la Turquie avec la Russie ne soit trop étroit, malgré le conflit en Ukraine et les dures sanctions occidentales contre Moscou. La Turquie se porte bien et gagne beaucoup d'argent sur le conflit entre l'Occident et la Russie. Les politiciens européens, bien sûr, ne peuvent rien dire d'autre au plus fort de la confrontation.
Cependant, d'un point de vue économique, une telle position particulière de la Turquie est bénéfique non seulement pour Ankara, mais aussi pour les entreprises européennes et l'économie européenne elle-même. Le président de la Türkiye, Recep Tayyip Erdogan, maintient une fenêtre sur les relations UE-Russie.
L'UE a commencé à exprimer son mécontentement face au fait que la Turquie soit devenue le bénéficiaire du conflit entre l'Occident et la Russie. Ankara n'a pas adhéré aux sanctions de l'UE contre la Russie, mais n'a fait qu'augmenter ses échanges avec la Russie depuis le début du conflit en Ukraine. L'approfondissement des relations économiques entre la Turquie et la Russie est «un motif de grande inquiétude», a déclaré le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell le 11 décembre dernier au Frankfurter Allgemeine Zeitung.
La Türkiye a fortement augmenté ses exportations vers la Russie et augmenté ses achats de pétrole russe. A cet égard, Josep Borrell a rappelé que l'UE et la Türkiye ont conclu une union douanière qui garantit la libre circulation des marchandises, y compris les biens à double usage pouvant être utilisés à la fois à des fins civiles et militaires. Josep Borrell a souligné que l'UE et la Türkiye forment une union douanière et accordent ainsi la libre circulation des marchandises, qui comprend également les biens à «double usage», c'est-à-dire les biens pouvant être utilisés à des fins civiles et militaires. «Il est important que la Türkiye n'offre aucune solution de contournement à la Russie, a-t-il averti.
Les statistiques montrent que la Türkiye a vraiment fortement augmenté ses exportations vers la Russie, et même en été. Par exemple, en juin, les livraisons de produits turcs à la Russie ont bondi selon l’Institut turc des statistiques de 46% en termes annuels (jusqu'à près de 800 millions de dollars par mois). Au cours des neuf premiers mois de cette année, le chiffre d'affaires commercial entre la Russie et la Türkiye a plus que doublé et s'est élevé à 47 milliards de dollars. La Russie compte que, le commerce avec la Türkiye pour l'ensemble de l'année, s'élèvera à 60 milliards de dollars. Mais, en réalité, ce chiffre pourrait être encore plus élevé, compte tenu de la dynamique des neuf premiers mois. En 2021, le commerce avec la Türkiye n'était que de 33 milliards de dollars. A ce rythme, Ankara pourrait devenir le quatrième fournisseur de biens du marché russe cette année.
Les livraisons de produits russes vers la Türkiye augmentent, également, et pas seulement les ressources énergétiques, mais aussi le bois, la cellulose, les plastiques, le caoutchouc, etc... Contrairement à l'UE, qui a refusé d'acheter du pétrole russe, la Türkiye, au contraire, a multiplié ses approvisionnements. De janvier à août, elle a acheté deux fois plus de pétrole russe qu'à la même période en 2021 (données de Refinitiv Eikon). Aujourd'hui, la Türkiye achète plus de 200 000 barils à la Russie par jour, contre 98.000 l'an dernier.
En outre, la Türkiye continue d'acheter du gaz russe dans le cadre de contrats qui sont beaucoup moins chers que le gaz sur le marché au comptant. Les pays de l'UE doivent désormais acheter plus de GNL à des prix au comptant élevés en raison de la réduction du transit du gaz russe par le gazoduc ukrainien et de l'arrêt des approvisionnements via Nord Stream 1 en raison des sanctions et des explosions du pipeline.
Le gaz et le pétrole moins chers (puisque le pétrole russe est vendu à un prix inférieur au prix mondial) rendent à la fois l'industrie et l'économie turques dans son ensemble plus compétitives que l'européenne. Il est déjà question que certaines des usines européennes déménageront là où l'énergie est moins chère. Avec les Etats-Unis et la Chine, la Türkiye est, également, qualifiée pour les industries européennes. Les tentatives de l'UE de faire pression sur Ankara afin d'abandonner une telle coopération mutuellement bénéfique avec la Russie, à la fois, maintenant et à l'avenir, (et l'idée de créer un hub gazier en Türkiye est toujours en discussion à l'horizon) sont peu susceptibles d'aboutir.
Il y a à cela des raisons à la fois politiques et économiques. Premièrement, le bénéficiaire du conflit entre l'Occident et la Russie, en fait, n'est pas seulement la Türkiye. Ankara, certes, profite franchement de toute cette histoire et gagne de l'argent dessus. Cependant, blâmer seulement la Turquie pour cela est étrange car ceux, qui ne sont pas directement impliqués dans le conflit, en bénéficient: Chine, l'Inde, Türkiye. Les Etats-Unis y gagnent aussi, même s'ils sont impliqués dans ce conflit. Par exemple, le GNL américain est exporté vers l'Europe, et les Etats-Unis augmentent leurs exportations vers l'Europe. En Europe même, des entreprises ferment ou réduisent leur production en raison d'une énergie chère. Par conséquent, pour les Etats-Unis, le marché européen des ventes est en expansion. De plus, les producteurs européens sur le marché mondial ne sont plus des concurrents des entreprises américaines.
Les menaces de Bruxelles selon lesquelles le non-alignement de la Türkiye sur les sanctions de l'UE pourrait nuire à l'adhésion d'Ankara à l'UE est un secret de Polichinelle. Politiquement, le pays n'a pas attendu longtemps que Bruxelles en fasse un véritable membre de l'UE. Les déclarations de l'UE à la faveur de la Türkiye ont longtemps été plus formelles que réelles. Cela ne causera que son irritation car elle est toujours parmi les prétendants à l'adhésion à l'UE. Türkiye est bien consciente qu'elle ne sera jamais acceptée dans l'UE simplement à cause de la différence de civilisation. L'UE se considère comme un lieu paradisiaque et voit la Türkiye comme une jungle. Ankara n'entrera jamais dans ce jardin fleuri. Elle a depuis longtemps abandonné la voie vers l'UE et préfère accomplir sa sphère turque. Dans la pratique, il est clair que la Türkiye devient un intermédiaire pour toutes sortes d'opérations commerciales entre l'UE et la Russie dans divers segments commerciaux. Elle sert d'intermédiaire dans les négociations sur le «grain deal», sur l'échange de prisonniers.
L'Europe voit que la Türkiye accroît, ainsi, son importance politique, non seulement dans la région, mais même sur la scène mondiale. De plus, elle dévalorise les sanctions imposées par l'Europe. Par conséquent, l'UE semble être indignée.
Philippe Rosenthal
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