La demande officielle de l'Ukraine d'adhérer à l'Union européenne a suscité une réaction controversée de la Turquie. Ainsi, le président Recep Tayyip Erdogan a pointé l'hypocrisie de la communauté européenne en ce qui concernait l'octroi du statut de membre aux pays candidats. Il a notamment rappelé que son pays attendait son tour depuis les années 1960, mais n'avait toujours pas reçu de réponse claire. Selon les experts, l'UE a en effet besoin de la Turquie, mais il est à douter que la situation actuelle permette d'accélérer son adhésion.
La déclaration en question du dirigeant turc a été faite à Ankara lors d'une conférence de presse conjointe avec la présidente du Kosovo Vjosa Osmani. "La Turquie attendait l'adhésion à l'UE depuis les années 1960, et maintenant des débats ont commencé sur l'Ukraine. Nous apprécions les efforts de l'Ukraine pour y adhérer. Mais pourquoi la Turquie n'est-elle toujours pas devenue membre de l'UE?", s'est interrogé Recep Erdogan en répondant à une question sur la position d'Ankara quant à la signature d'une déclaration en ce sens par Kiev. Le président turc a appelé la communauté européenne à faire preuve de la même "sensibilité" que dans la situation actuelle, mais dans le cadre du dialogue avec la Turquie. En outre, le dirigeant a demandé si son pays serait inscrit à l'ordre du jour "si quelqu'un l'attaquait".
À l'heure actuelle, hormis la Turquie, la Macédoine du Nord, le Monténégro, l'Albanie et la Serbie possèdent le statut de candidat à l'adhésion à l'UE. Cependant, le travail d'Ankara sur l'intégration compte six décennies. La Turquie a signé un accord d'association en 1963, alors que la demande d'adhésion à la communauté européenne a été déposée seulement en 1987. Le pays a obtenu le statut de candidat en 1999. Et dans les années 2000 ont commencé les pourparlers sur l'adhésion de la Turquie à l'UE. La France et l'Allemagne se sont opposées à cette initiative dénonçant un rôle majeur de l'armée dans la politique turque. Ainsi que le non-respect des principes de la liberté d'expression et le conflit non résolu avec Chypre.
Après la tentative de coup d'État en Turquie en 2016, la situation s'est nettement compliquée. La même année, Bruxelles a prôné la suspension des négociations sur l'adhésion avec Ankara. La raison invoquée était la réaction "disproportionnée" des autorités turques au putsch échoué.
En 2016 également, Recep Erdogan a déclaré que son pays faisait partie intégrante de l'Europe. "Que l'UE tente de nos isoler entrant en conflit avec leurs propres valeurs, a-t-il dit. L'UE et les milieux racistes n'auront pas la force de nous repousser. Nous sommes maîtres en Europe." Le président turc faisait avant tout allusion au fait que des millions de Turcs vivaient en Europe.
Cette situation n'incite certainement personne dans les institutions de l'UE à forcer une décision concernant l'adhésion de la Turquie. D'un côté, c'est dû à la procédure. De l'autre, il est évident que l'UE examine tout au cas par cas. L'UE est consciente que la Turquie est très importante. De plus, les relations entre l'UE collective et la Turquie sont plus constructives que les relations bilatérales entre la Turquie et les États-Unis.
L'attitude positive envers Ankara est due à la reconnaissance de son rôle dans la garantie de la sécurité de l'Europe. Au début des années 2000, la Turquie a fait un grand bond vers l'adhésion à l'UE: elle agissait sur le plan pratique, écartait les militaires du pouvoir, etc., mais par la suite il s'est avéré que cela était fait uniquement pour renforcer le pouvoir du Parti de la justice et du développement au pouvoir. Plusieurs changements ont incité l'UE à revoir sa disposition à intégrer la Turquie.
Des sceptiques affirment que depuis le début l'UE était indisposée à examiner sérieusement l'adhésion d'Ankara. Mais Recep Erdogan profite de la moindre occasion pour piquer au vif les hauts fonctionnaires européens et souligner le rôle de la Turquie. Il n'est pas naïf: il sait ce que c'est, mais à chaque fois frappe à la porte pour rappeler sa présence.
Alexandre Lemoine
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