L'élection présidentielle moldave de novembre 2020 a changé une nouvelle fois la configuration du gouvernement. La première femme présidente, Maia Sandu, contrairement à son prédécesseur Igor Dodon, proclame une voie franchement pro-européenne. Que cela signifie-t-il?
Les ambitions politiques de Maia Sandu
Les thèses principales de la nouvelle présidente concernent la lutte contre la corruption, le règlement du problème transnistrien, le retrait du contingent russe de Transnistrie, le redémarrage des relations politiques et économiques avec la Russie et la sécurité sociale des travailleurs moldaves à l'étranger.
Maia Sandu associe les problèmes intérieurs de pauvreté et de fuite des cadres à l'étranger directement à la corruption. Il est avant tout question de ce qu'on appelle le "laundromat" (blanchisserie moldave), la plus grande opération de blanchiment d'argent dans la CEI. Il était question d'environ 21 milliards de dollars. Cela impliquait plusieurs politiques moldaves, et la clôture de cette affaire est une question d'honneur pour Maia Sandu.
L'Europe ou la Russie
A l'heure actuelle, la Moldavie est à la fois membre de la CEI et de l'Accord d'association avec l'UE, ce qui se reflète négativement sur sa stabilité politique intérieure.
Le 12 janvier, Maia Sandu a effectué son premier voyage à l'étranger à Kiev. L'Ukraine et la Moldavie connaissent des histoires similaires avec des entités non reconnues et soutenues par la Russie.
L'Ukraine est prête à s'activer sur le dossier transnistrien. D'autant que la Transnistrie non reconnue reste depuis longtemps en travers de la gorge de Kiev, engendrant une menace théorique d'instabilité sur 450 km de frontière. En 2015, l'Ukraine a bloqué le transit de forces russes via son territoire et, en 2017, a stoppé le transit illégal de marchandises via la Transnistrie en contournant la douane moldave.
L'installation de postes de contrôle illégaux entre l'Ukraine et la Transnistrie contrôlés par la douane moldave est qualifiée de blocus par la Transnistrie. Et, de toute évidence, Vladimir Zelenski et Maia Sandu sont précisément convenus de ces premières démarches communes.
La Roumanie
Il ne faut pas non plus oublier un autre acteur important, la Roumanie, qui mène depuis longtemps en Moldavie une politique d'union et prête à devenir un "opérateur exclusif" de l'intégration européenne de la Moldavie. Maia Sandu s'est déjà distinguée par des déclarations diplomatiques pour soutenir ce plan. L'union des deux Etats bénéficie d'un soutien suffisant. Maia Sandu possède la citoyenneté moldave et roumaine. Le roumain possède le statut de langue nationale.
La Roumanie s'est déjà dit prête à relancer les investissements de 100 millions d'euros pour soutenir les institutions démocratiques, à accorder une aide de 250 millions d'euros et à fournir à la Moldavie des vaccins contre le coronavirus. Le président roumain Klaus Iohannis est devenu le premier hôte étranger officiel de Maia Sandu.
Ces projets affectent forcément les relations avec la Russie et l'Ukraine. La Russie fait allusion à l'intensification du conflit transnistrien, à la hausse du séparatisme en Gagaouzie et à la reprise des altercations entre les unionistes et les moldovénistes en Moldavie même.
De son côté, l'Ukraine se montre depuis longtemps nerveuse au vu des déclarations régulières des politiques roumains concernant le droit de la Roumanie de reprendre la Bessarabie du Sud et la Bucovine du Nord, où vit une minorité roumaine de manière compacte. En cas d'unification de la Moldavie et de la Roumanie le problème des revendications territoriales envers l'Ukraine prendrait une forme pratique.
Enfin, cette idée ne réjouirait pas non plus l'UE et notamment l'Allemagne, qui craint une déstabilisation incontrôlée dans les Balkans. C'est pourquoi il est peu probable qu'à court terme un nouvel Etat "Grande Roumanie" fasse son apparition sur la carte européenne, d'autant que cela nécessite un référendum national. Selon Maia Sandu, en 2019, l'idée de l'union était soutenue par près de 25% des Moldaves. Mais ils pourraient être plus nombreux: près de 35% de la population se considèrent roumains. Or cela ne suffit pas non plus pour la réunification.
La Transnistrie
Maia Sandu prône absolument le règlement du problème transnistrien. C'est une question non seulement politique, mais également économique pour la Moldavie. Outre la présence d'une base russe, cette région non reconnue est devenue un hub de contrebande infligeant un grand préjudice au système fiscal du pays.
Si les casques bleus russes se trouvent dans la république non reconnue dans le cadre de certaines ententes, le groupe opérationnel des forces qui protège les munitions n'est pas du tout légalisé. La présence des casques bleus russes a perdu tout son sens depuis longtemps, la probabilité d'une reprise du conflit est infime, et Maia Sandu insiste sur leur remplacement par une mission d'observateurs civils de l'OSCE.
Alors que les habitants de la Transnistrie ne sont pas opposés à une réunification avec la Moldavie, contrairement aux élites transnistriennes. Le problème maintenant est de savoir comment terminer les négociations lentes et sans résultat au format "5+2", qui perdurent depuis 15 ans.
La Gagaouzie entre les mondes russe et turc
Enfin, il convient de parler de l'influence turque grandissante via l'autonomie de la Gagaouzie. C'est une sorte d'entité unique habitée par un peuple russophone orthodoxe d'origine turque. La Gagaouzie cherche à maintenir un équilibre entre la Moldavie, la Russie et la Turquie, ce qui crée périodiquement une certaine tension entre les "tuteurs". A l'élection présidentielle de 2020, 95% des Gagaouzes ont voté pour le candidat prorusse Igor Dodon.
Mais peu à peu la Gagaouzie dérive en direction de la Turquie. La construction des routes, de centres sportifs et cultures est la "cible" principale des investissements turcs. Des Gagaouzes partent même en Turquie pour travailler.
Mais on ignore pour l'instant ce qui changera dans la vie de la Gagaouzie avec l'arrivée de Maia Sandu. La nouvelle présidente et l'opposition parlementaire ont déjà rejeté les "projets de loi gagaouzes" proposés par la fraction d'Igor Dodon. Ces lois étaient censées élargir les droits de l'autonomie gagaouze, mais ont été qualifiées de "menace à la sécurité nationale de la Moldavie".
Alexandre Lemoine
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