Cela fait dix ans, en décembre 2010, que le Printemps arabe a éclaté au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Les manifestations antigouvernementales qui ont eu lieu dans plusieurs pays ont rapidement dégénéré en émeutes et en confrontation armée contre la police et l'armée. Cela a conduit à la chute de plusieurs régimes autoritaires, et les événements qui ont suivi ont complètement changé le paysage politique, social et même religieux de la région.
Dix ans plus tard, force est de constater: dans les Etats qui ont connu le Printemps arabe la vie n'est pas devenue meilleure, alors que certains pays ont même plongé dans l'abîme de la guerre civile. La destruction, la pauvreté et les réfugiés, voilà leurs réalités aujourd'hui.
La réaction en chaîne
La chaîne d'événements révolutionnaires qui ont complètement changé l'image du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord a commencé par l'immolation de Mohamed Bouazizi, commerçant de fruits tunisien de 26 ans.
L'acte choquant de ce dernier a immédiatement trouvé un écho auprès des milliers de ses concitoyens fatigués de l'arbitraire et de l'indifférence des autorités, de la corruption et de la pauvreté. Un puissant mouvement de protestation s'est levé en s'étendant à travers le pays en seulement quelques jours. Les protestations ont conduit à la démission du président Zine el-Abidine Ben Ali le 14 janvier 2011. Après 23 ans de règne il a fui avec sa famille en Arabie saoudite.
L'exemple de la Tunisie fut contagieux, et dans les semaines qui ont suivi une vague de protestations a submergé les pays voisins. Des foules en colère ont défilé dans les rues et les places en Algérie, en Libye, au Yémen, en Egypte, au Maroc et à Bahreïn. Des émeutes ont même eu lieu à Oman, au Soudan, au Koweït, au Sahara occidental, en Arabie saoudite et en Iran. Malgré les différences fondamentales en termes d'ordre étatique et social, la force motrice des protestations dans tous ces pays était la même – le mécontentement à cause du niveau de vie, des libertés et des droits civils qui a atteint un seuil critique.
Le facteur clé a été la propagation de la politique économique néolibérale et de gouvernements autoritaires dans la région, estime James Galvin, professeur des sciences historiques à l'université de Californie à Los Angeles et expert du Moyen-Orient. D'après lui, "avec les gouvernements autoritaires sont venues les répressions, les tortures et les falsifications des élections, l'absence de partis politiques libres, la censure et l'absence de l'obligation des gouvernements de rendre des comptes à la population".
Gilbert Achcar, professeur des relations internationales et d'études de développement à la School of Oriental and African Studies de l'Université de Londres, mentionne une autre raison de l'explosion sociale dans le monde arabe fin 2010-début 2011. Selon lui, l'une des raisons principales était un taux de chômage extrêmement élevé parmi les jeunes, qui ont constitué le noyau du mouvement protestataire. "Les régimes politiques dans cette région sont devenus eux-mêmes des obstacles sur la voie du développement. C'est cet obstacle qui a provoqué l'explosion", estime Gilbert Achcar.
Les protestations ont forcément suscité une réaction des autorités. Début février 2011, le roi Abdallah II de Jordanie a accepté de faire des concessions et a annoncé la dissolution du gouvernement. Mi-février, les rues d'Egypte s'exaltaient également après la démission de Hosni Moubarak, qui dirigeait le pays depuis presque trente ans. Les rois de Bahreïn et du Maroc promettaient également à leur population des réformes et des changements pour le mieux. Au Soudan a été organisé un référendum tant attendu sur l'indépendance du Soudan du Sud.
En même temps, le mouvement de protestation grandissait en Syrie, où il a rapidement dégénéré en affrontements armés contre le gouvernement. Alors que les émeutes en Libye ont dégénéré en conflit armé suivi par l'intervention de l'Occident et l'assassinat de Mouammar Kadhafi, qui était au pouvoir depuis 40 ans.
Hiver arabe
Cependant, en dix ans, l'euphorie a cédé la place à la déception. Au lieu de la foi en ses propres forces et l'espoir d'une vie meilleure, les habitants des pays touchés par le Printemps ont été confrontés à l'instabilité, à l'extrémisme et au terrorisme, aux longs conflits armés, à un grand nombre de réfugiés et aux régimes encore plus réactionnaires.
En prenant six pays où les protestations étaient particulièrement fortes en 2011, la révolution de Tunisie est probablement la seule histoire de succès. "Le nombre de prisonniers politiques a diminué et les gens craignent moins de protester et d'organiser des manifestations antigouvernementales, ainsi que de défendre leurs exigences. Cependant, ils ont appris que le départ du dictateur n'a pas réglé tous leurs problèmes. Le pouvoir judiciaire n'est pas devenu indépendant en un instant. La police n'a pas cessé d'abuser de la force. La réforme des lois répressives s'est avérée plus difficile que prévu", indique Eric Goldstein, Directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch.
Cela ne s'est pas non plus déroulé en souplesse en Egypte. L'islamiste Mohammed Morsi, qui a remporté la première élection présidentielle démocratique en Egypte en 2012, a été rapidement renversé par les militaires. Il a été remplacé par le ministre de la Défense Abdel Fattah al-Sissi, qui a mis en place un Etat policier, qui s'est avéré encore plus répressif qu'avant 2011.
Alors qu'à Bahreïn il n'y a pas eu de changement de pouvoir, le régime est devenu encore plus autoritaire. Les autorités emploient souvent la force excessive pour disperser les manifestations, emprisonnent les manifestants et les leaders d'opposition, torturent les interpellés.
En 2014, un conflit armé a éclaté au Yémen entre le gouvernement et les rebelles chiites Houthis, auxquels a adhéré le président déchu Ali Abdallah Salah. En 2017, un conflit a éclaté entre Salah et les Houthis, et il a été tué. La guerre au Yémen a provoqué une catastrophe humanitaire sans précédent, dans le pays règnent la pauvreté et la destruction, sévissent la famine et le choléra.
La Libye, après le renversement et l'assassinat de Kadhafi, s'est retrouvée éclatée en morceaux avec des groupes belligérants. La dualité du pouvoir demeure dans le pays après des années de guerre civile. La capitale de Tripoli et l'ouest du pays sont contrôlés par le Gouvernement d'union nationale dirigé par Fayez el-Sarraj. Il est confronté au parlement siégeant à l'est du pays soutenu par l'Armée nationale libyenne sous le commandement du maréchal Khalifa Haftar. La Turquie soutient le premier, l'Egypte et les EAU soutiennent le second.
L'insurrection des Syriens contre le régime de Bachar al-Assad a également dégénéré en guerre civile, qui a emporté des centaines de milliers de vies et a engendré une crise migratoire gravissime. D'après l'Onu, environ 6,6 millions de personnes ont dû quitter leur foyer pour s'installer dans d'autres régions du pays.
Le vide du pouvoir qui s'est formé en Syrie suite à la guerre et à l'instabilité politique a été comblé par des groupes terroristes. En particulier, Daech s'est considérablement développé. Différentes forces ses sont engagées dans la lutte contre le terrorisme: une coalition internationale menée par les Etats-Unis, la Russie, l'Iran et la Turquie.
à suivre…
Alexandre Lemoine
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