Avec la réunion du comité juridique du sénat du congrès américain a commencé la bataille pour le contrôle de l'instance probablement la plus importante aux Etats-Unis aujourd'hui – la Cour suprême. De la victoire des démocrates ou des républicains pourrait dépendre celui qui se retrouvera à la tête du pays pour les cinq prochaines années.
Au cours des débats de quatre jours les sénateurs devront approuver ou rejeter la candidature d'Amy Coney Barrett avancée par Donald Trump. De toute évidence, ce dernier a réussi à surmonter les hésitations de certains sénateurs républicains, et à présent toute la majorité républicaine du sénat vote pour. A condition que le vote ait lieu.
Ce qui pourrait ne pas être le cas. Il ne s'agit même pas du fait qu'en évoquant la candidature de Barrett au comité juridique les démocrates rappelaient constamment aux collègues qu'il y a quatre ans, quand avant les élections le poste de Juge suprême s'était libéré, il a été décidé de faire conformément à la tradition datant d'Abraham Lincoln. Autrement dit, la nomination du juge était confiée au vainqueur de la présidentielle.
La sénatrice Kamala Harris, qui parle désormais de plus en plus au nom du parti démocrate, a recouru à l'argumentation médicale. En s'adressant au comité en visioconférence Mme Harris a rappelé que certains sénateurs avaient été testés positifs au coronavirus. Et elle a appelé à reporter les audiences car la vie du personnel de service du Capitole pouvait être mise en danger. Autrement dit, cela sent le risque d'un boycott de la procédure d'approbation de Mme Barrett par les démocrates.
Les républicains et Donald Trump n'ont visiblement pas encore décidé comment agir dans cette situation. Une chose est sûre: ils veulent la nomination d'Amy Barrett à tout prix. Si elle devenait juge de la Cour suprême, dans cette instance les conservateurs détiendraient une majorité incontestable, des gens du parti républicain ayant des convictions proches. Mme Barrett tente de convaincre, en vain, qu'un juge (elle) peut se référer uniquement à la lettre de la loi et non à ses opinions politiques. L'Amérique polarisée actuelle ne lui croit pas.
Le contrôle de la Cour suprême apporterait aux républicains un avantage si les résultats de la présidentielle du 3 novembre étaient contestés dans cette instance. Or Donald Trump a déjà laissé entendre qu'en perdant il saisirait forcément la justice. De plus, en cas de succès très probable du candidat démocrate Joe Biden, sa victoire serait nivelée en grande partie. Puisque les conservateurs disposeraient d'une majorité ferme à la Cour suprême, ils pourraient ralentir pendant des années toutes les initiatives du chef d'Etat indésirable. Heureusement, le juge est nommé à vie. Le président n'a pas le pouvoir de le démettre de ce poste.
Des précédents de guerre entre le pouvoir exécutif et législatif ont déjà eu lieu aux Etats-Unis. Rappelons les années 1930 quand la nouvelle politique de Franklin Delano Roosevelt rencontrait une forte opposition de la Cour suprême. Les contours d'une nouvelle guerre de ce genre sont perceptibles dès aujourd'hui. Rapidement après les élections de novembre la Cour suprême examinera la légalité de la réforme de l'assurance médicale initiée par Barack Obama et soutenue par Joe Biden. Obamacare est devenue depuis longtemps une "fable du quartier" pour les républicains. Ils trouvent cette réforme extrêmement ratée et populiste, un moyen pour forcer la classe moyenne américaine à payer pour les pauvres qui touchent des allocations de chômage. C'est pourquoi il est facile à deviner quel serait le verdict des juges conservateurs.
Enfin, la Cour suprême pourrait être le dernier bastion des républicains au pouvoir. Ils ne contrôlent déjà pas la chambre des représentants du congrès, et les démocrates n'y perdront pas leur majorité. Alors qu'après la réélection en novembre de 33 des 100 sénateurs, les républicains pourraient perdre leur majorité à la chambre haute également. Après quoi un juge conservateur n'aurait aucune chance d'être nommé à la tête de la Cour suprême.
En un mot, Donald Trump est prêt à tout pour la nomination d'Amy Barrett. Mais ces adversaires, eux aussi, sont prêts à tout. Notamment à porter atteinte aux piliers séculaires de la démocratie américaine. Le nombre des membres de la Cour suprême n'a pas changé depuis 1869. Quelle que soit la complexité des interactions des congressistes et des présidents avec cette instance, il y avait toujours neuf juges. Personne n'osait manipuler les effectifs de la Cour suprême en y introduisant leurs partisans. Or les démocrates sont prêts à le faire, d'autant que leurs électeurs ne semblent pas s'y opposer. En ce moment, lors de ses activités de campagne Donald Trump rappelle constamment les débats entre les candidats à la vice-présidence Michael Pence et Kamala Harris. Le premier avait directement demandé à la seconde si les démocrates avaient l'intention d'élargir la composition de la Cour suprême. En souriant, Mme Harris a expliqué longuement que nommer un juge avant la présidentielle était mal et non conforme aux traditions américaines. Mais elle n'a pas répondu à la question de Michael Pence.
Alexandre Lemoine
Les opinions exprimées par les analystes ne peuvent être considérées comme émanant des éditeurs du portail. Elles n'engagent que la responsabilité des auteurs