La sécurité pourrait devenir le thème central de la course présidentielle qui se déroulera tout de même dans plus d'un an et demi. Mais les rivaux politiques se disputent déjà pour savoir qui est capable de rétablir le calme dans le pays, notamment Marine Le Pen avec Emmanuel Macron, et même les partisans du président.
"Il faut stopper l'ensauvagement d'une partie de la société", a déclaré le nouveau ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin dans une interview accordée au Figaro. Le terme employé a immédiatement fait l'objet d'une polémique. Il n'est pas très habituel pour un politique officiel car il renvoie aux sauvages. Or il est clair sans explication qui sont les sauvages dans l'histoire de la France, autrefois une puissance coloniale. Cela a été notamment remarqué par l'ancienne garde des Sceaux d'origine guyanaise, Christiane Taubira, qui a pris la défense pour "une partie de la société", déclarant que le ministre "est travaillé par l'imaginaire colonial".
Gérald Darmanin a dû s'expliquer en disant qu'il est lui-même petit-fils de migrants et qu'il n'essayait pas de rejeter la faute pour l'ensauvagement uniquement sur les migrants, mais l'extrême-droite a volontiers repris ce terme qu'elle connaissait bien depuis longtemps, d'ailleurs.
Au premier congrès de son parti Rassemblement national (RN) après le confinement à Fréjus Marine Le Pen a tenu un discours sous le slogan "Français, réveillez-vous!". Les problèmes de la sécurité des "Français de souche" étaient au centre de son discours. Elle parlait de racisme antifrançais et même antiblanc en dénonçant "l'absence de la volonté politique des dirigeants", alors qu'une "véritable barbarie s'installe" dans le pays. Les propos du ministre de l'Intérieur sont mauvais non pas en soi, mais parce qu'ils ne sont suivis par aucune action concrète: "Cela fait 20 ans que les dirigeants politiques disent la même chose que nous."
La chef du RN a également rappelé la vive rhétorique de Nicolas Sarkozy, qui avait promis en tant que ministre de l'Intérieur de "nettoyer la racaille au kärcher". Gérald Darmanin a travaillé avec Nicolas Sarkozy, et pour Marine Le Pen son discours n'est qu'une tentative de lui "voler" le thème d'actualité qui est traditionnellement sa carte de visite, ce qui attire le plus l'électorat du parti.
Marine Le Pen est convaincue que le problème de l'insécurité sera le thème principal de la prochaine présidentielle de 2022 et, puisqu'elle a déjà annoncé sa participation, la lutte contre "l'ensauvagement" lancée par le gouvernement pourrait devenir un atout du RN.
Et dans sa campagne le parti pourrait aller bien plus loin que Gérald Darmanin bien plus restreint par les modalités ministérielles. D'autant qu'au sein du gouvernement tout le monde ne soutient pas le ministre de l'Intérieur. Le ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti a déjà déclaré aux journalistes que le terme en soi n'avait pas de sens car il entretenait "le sentiment d'insécurité" et était dicté plutôt par le populisme que par la réalité. Cet avocat connu d'affaires pénales n'apprécie pas les accusations infondées.
Le premier ministre Jean Castex a dû rappeler ses ministres à l'ordre en proposant pour commencer de "fermer le ban".
C'est également l'avis d'Emmanuel Macron: " Ce qui m’importe, ce sont les actes, pas les mots (…). Prévenir, arrêter, sanctionner, corriger et donc répondre à la réalité". Il préfère parler d'une "banalisation de la violence" au cours des derniers mois. En effet, après la déconfinement l'actualité déborde de cas de braquages, de pillages et d'altercations avec la police.
Afin de faire face à cette avalanche de mauvaises nouvelles rapportées par les journalistes, qui alimentent la colère de la population épuisée par les mesures sanitaires, le ministère de l'Intérieur a promis de publier son propre bilan mensuel des infractions. A partir d'octobre, le ministère organisera des conférences de presse spéciales à ce sujet. Il est parfaitement évident que "l'insécurité" devient la marchandise politique qui circule le plus.
En plus de "l'ensauvagement" le gouvernement dispose également du "séparatisme". Emmanuel Macron parle depuis un an de la nécessité de le combattre, alors que son ministre de l'Intérieur actuel déplore que la France souffre de "l'islam politique qui est un ennemi mortel pour la République".
L'ancienne direction du ministère de l'Intérieur préparait depuis 2019 une loi contre le séparatisme, dont a hérité désormais le nouveau gouvernement. Cette loi devait être rendue publique en septembre, mais la porte-parole du ministère Marlène Schiappa a annoncé qu'elle nécessiterait de nombreuses consultations, qui ne se termineront pas avant le Nouvel an.
Alexandre Lemoine
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