Ce samedi 6 juin a été présentée la Déclaration du Caire pour régler la crise politique en Libye. La Déclaration du Caire a été mise au point à l'issue des négociations du 5 juin 2020 au Caire entre le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi, le maréchal Khalifa Haftar à la tête de l'Armée nationale libyenne (ANL) et le président de la chambre des représentants de la Libye Aguila Salah Issa.
Cette déclaration prévoit un cessez-le-feu entre les belligérants – les unités de l'ANL et les forces loyales au Gouvernement d'entente nationale (GEN) de Fayez el-Sarraj, à partir du 8 juin 2020. Il est proposé de dissoudre et de désarmer entièrement les groupes militarisés illégaux, de stocker les armes dans les entrepôts de l'armée libyenne et de faire partir du pays toutes les forces étrangères.
L'ordre de la mise en œuvre de ces mesures doit être mis au point par la commission militaire conjointe "5+5" à Genève sous l'égide de l'Onu. Plusieurs transformations sociopolitiques sont prévues: l'union des institutions publiques des belligérants actuels et la création d'un conseil présidentiel avec une large représentation des trois régions du pays.
Le jour même, les autorités de Tripoli ont rejeté les initiatives du Caire. Le chef du Conseil suprême de l'Etat Khaled al-Mechri, agissant conjointement avec le GEN, a déclaré à l'agence de presse Al Jazeera: "Les Libyens n'ont plus besoin d'initiatives. Après les défaites Haftar veut revenir à la table des négociations. Nous le rejetons."
Le refus de dialoguer avec l'ANL a été confirmé par le chef du GEN, Fayez el-Sarraj, qui a déclaré à Ankara à l'issue d'un entretien avec le président turc Recep Tayyip Erdogan qu'il avait la ferme intention de poursuivre les activités militaires jusqu'à une victoire définitive sur les troupes du maréchal Haftar.
Vendredi 6 juin, les forces du GEN ont lancé plusieurs frappes aériennes à l'aide de drones turcs contre des sites militaires de l'ANL à Syrte. Le commandement des unités de Fayez el-Sarraj a annoncé le début d'une grande offensive sur les régions Est de la Libye contrôlées par les troupes du maréchal Haftar.
Il est fort probable que le conflit armé libyen dégénère: le GEN et la Turquie qui le soutient, après une série de victoires, n'accepteront pas de cesser les activités militaires et chercheront à vaincre définitivement l'ANL.
Cette dernière, de son côté, dépourvue d'un puissant soutien militaire, est incapable de résister à l'attaque de dizaines de milliers de mercenaires turcs engagés par Ankara qui mèneront l'offensive avec le soutien direct de l'armée turque. Dans ces conditions il est peu probable qu'Ankara écoute l'avis international et applique des résolutions exigeant de stopper l'aide militaire à l'un des belligérants. De plus, Recep Erdogan fera escalader le conflit par la participation directe des forces turques pour vaincre au plus vite Khalifa Haftar.
L'agression militaire directe de la Turquie contre la Libye pourrait pousser l'Egypte à se ranger du côté de l'ANL dans cette guerre: Abdel Fattah al-Sissi a récemment condamné les actions de la Turquie dans la région. Le dirigeant égyptien est parfaitement conscient de la menace réelle pour la sécurité de l'Egypte si en Libye voisine s'installait un régime politique reposant sur l'idéologie du groupe radical international Frères musulmans. C'est pourquoi le gouvernement égyptien ne va certainement pas calmement réagir aux événements en Libye.
En ce qui concerne la Russie, elle cherche à maintenir les relations avec les deux belligérants prônant la "pacification" du conflit intérieur en Libye par un cessez-le-feu et en entamant un dialogue politique sous l'égide de l'Onu. Moscou se méfie de la politique de Recep Erdogan en Libye mais s'abstient de le critiquer ou de le condamner: l'affaiblissement de la présence de groupes armés illégaux en Syrie est bénéfique pour Moscou.
En même temps, le Kremlin sait parfaitement que si Ankara s'affirmait en Libye, la Russie ne pourrait pas compter sur la reprise d'une coopération économique conséquente avec une Libye pro-turque. Seulement le vainqueur dans la guerre civile libyenne pourra compter sur des dividendes politiques ou autres.
Il est clair également que les dernières déclarations des Turcs concernant l'intention d'élargir les achats d'armes russes ne sont qu'un écran pour empêcher Khalifa Haftar de bénéficier d'une aide. Dans l'ensemble, la victoire du maréchal libyen serait bénéfique pour la Russie avec l'élimination de mercenaires syriens, réglant le problème de leur retour en Syrie. Moscou semble prêt à apporter une aide en matériel militaire à l'ANL. Mais seulement à condition d'utiliser pour cela l'Egypte amie.
Le cessez-le-feu unilatéral devrait entrer en vigueur en Libye ce 8 juin. Des consultations se déroulent activement concernant la mise en œuvre de la Déclaration du Caire. Cependant, sous sa forme actuelle ce document ne convient pas du tout à la Turquie. Le changement de ses termes militaires va à l'encontre des intérêts de l'Egypte.
Ainsi, l'évolution de la situation en Libye et autour dépendra des plans de l'Egypte et d'autres pays arabes qui la soutiennent.