Emmanuel Dupuy, président de l'IPSE, l’Institut Prospective et Sécurité en Europe, donne un entretien à Observateur Continental sur la situation dans la région du Sahel.
Comment voyez-vous l'évolution de l'intervention militaire française Barkhane sur le Sahel ?
L'intervention militaire française, l’opération Barkhane, qui a été lancée dans la Bande sahélo-saharienne (BSS), en août 2014, dans la suite de l'intervention Serval, qui visait initialement à juguler les groupes armées terroristes au Mali (janvier 2013-août 2014), avait et a toujours pour objectif de stabiliser une région dans laquelle les terroristes sont toujours présents. Les groupes armés terroristes sont mobiles et agiles. Ils ne sont plus seulement «enkystés» dans le septentrion et le centre malien, mais ils sont de plus en plus répartis dans différents pays du voisinage, en l'occurrence dans les cinq pays du Sahel que couvre l’opération Barkhane (Le G5 Sahel lancé en février 2014) Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad. La présence militaire française au Tchad s’inscrit dans une réalité stratégique à la fois ancienne puisque les militaires français y ont été présents depuis le lancement des opérations Manta(1983-1984) puis Epervier (1986) lancées dans le but de contrer le franchissement du 16ème parallèle par les forces armées libyennes. La France est aussi présente militairement au Tchad, sur les bases de N’Djamena et de Faya-Largeau, au titre d’un accord de coopération militaire et sécuritaire bilatérale, rénové en 2014 avec le Tchad, mais la présence militaire française s’inscrit également dans une approche nouvelle eu égard au fait que Tchad est au croisement des conflictualités dans la bande sahélo-saharienne. Premièrement, car elle est impactée aussi par les groupes terroristes liés à Al Qaida et à Daesh ; deuxièmement, car elle est au croisement entre le chaos libyen, l’instabilité politique et sécuritaire en République centrafricaine, et la résilience de la menace de Boko Haram au Nigéria. Le Tchad est, par ailleurs, doublement partenaire en matière sécuritaire comme membre du G5 Sahel - depuis son lancement en février 2014 et comme membre de la force mixte multinationale qui lutte contre Boko Haram aux côtés du Bénin, du Cameroun, du Nigéria et du Niger, crée en 1994 mais renforcée en 2015.
Que faut-il penser des voix dissonantes qui s'élèvent et qui expliquent que l'intervention militaire française serait «à côté de la plaque» en étant plutôt d'un type colonialiste et ne serait pas là pour lutter contre le terrorisme?
Ces voix dissonantes analysent de manière biaisée, me semble t-il, la présence militaire française. Il ne s’agit que d'une présence militaire d'appui, de soutien et d’entraînement des forces armées tchadiennes. Dire, comme ces voix dissonantes le sous-entendent, que la présence militaire française serait explicable sous le seul prisme néo-colonial va à l’encontre du principe même de l’opération Serval et Barkhane, qui s'est faite à la demande des Etats impacts par les organisations terroristes. Ces interventions militaires s'inscrivent dans la logique de la résolution onusienne que la France a déposé en juin 2017 et celle de décembre 2013 (numéro 2085) donc validée par l'ensemble des 193 pays qui composent l'organisation internationale. Je rappelle que la présence française dans la BSS répondait en janvier 2013 à une urgence qui était celle de la stabilisation d'une région vaste de plus de 5 millions de Km2, grand comme sept fois l’Europe, et qui a connu de nombreux attentats, à partir de 2015, qui ont touché à la fois le Burkina Faso, la Côte d'Ivoire, le Mali, le Niger et le Tchad et avant cela, la Mauritanie, le Maroc et la Tunisie. L'idée selon laquelle la France ne serait là que dans une approche néo-coloniale, mercantiliste, est un discours éculé, que d'ailleurs un certain nombre d'organisations internationales produisent régulièrement , maintenant, depuis plusieurs décennies, pour dénoncer la présence française dans d'autres parties du Sahel, par exemple, le Niger, sud fond d’exploration minière, notamment, l’uranium extrait par la société française Orano (ex-Areva). On peut se poser la question légitime selon laquelle, la critique contre la France est particulièrement virulente et parfois étonnamment minorée ou adoucie vis-à-vis d'autres pays qui sont tout aussi présents pour les mêmes raisons. Je rappelle que l'Italie a également des troupes, pas au Tchad, mais au Niger. L'Allemagne participe à l’opération onusienne de la MINUSMA au Mali et qu’elle dispose également de troupes au Niger. Je rappelle également que la France, comme d'autres pays, n'est pas là pour imposer son choix ou sa doctrine mais est bien là pour essayer de lutter contre le terrorisme. Cependant, je peux rejoindre, la critique de ces voix dissonantes, au moins, sur un point : celui du lien particulier qui lie le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves le Drian au président tchadien, Idriss Déby et qui peut être, légitiment l’objet d’un débat, notamment, quand ce dernier, n’hésite pas à s’en faire valoir, plus que de raison.
à suivre