Dans un entretien avec Pierre Berthelot, expert du Proche et Moyen-Orient à l'IPSE, chercheur dans ce domaine depuis plus de 15 ans, Observateur Continental évoque la position des Kurdes ou plutôt la manipulation effectuée par les Etats-Unis sur le peuple kurde pour mener des actions géostratégiques.
- Quel est le rôle des Kurdes actuellement avec les Etats-Unis?
Les Kurdes sont appuyés par les Américains depuis longtemps au Moyen-Orient. C'est une minorité qui est plus ou moins persécutée dans les pays où ils sont. Les Etats-Unis les utilisent depuis longtemps pour déstabiliser dans la région les Etats qui leur sont hostiles, par exemple, Saddam Hussein, à partir de 1990. On a favorisé la création d'un territoire autonome kurde dans le nord de l'Irak. On soutient des mouvements séparatistes en Iran depuis la révolution iranienne même si ils ont peu d'influence. Et plus récemment, ce qui est très nouveau, les Américains s'intéressent aux Kurdes de Syrie car jusque là cela n'était pas vraiment une préoccupation. Les Américains sont intéressés depuis peu aux Kurdes qu'ils utilisent comme tampon contre Daesh et contre le président Bachar el-Assad. Voilà pourquoi les Kurdes sont apparus comme le mouvement qui était le plus intéressant de ce point de vue. L'objectif des Etats-Unis est de prendre du territoire, de détruire Bachar el-Assad et d'influencer la Russie et la Turquie. Actuellement, avec la Turquie qui veut acheter des missiles russes, utiliser la carte kurde c'est un moyen de faire pression sur la Turquie.
- Que pensez-vous quand la diplomatie russe dit que les Kurdes sont utilisés pour pour saper l'intégrité de l'Etat syrien ?
Oui, ce n'est pas faux. Les Kurdes recherchent une indépendance, du moins une autonomie. Effectivement, il y a une utilisation des Kurdes à cet égard. C'est certain.
- Quelles relations entre la Turquie et les Kurdes?
La Turquie est très mécontente de cette instrumentalisation des Kurdes puisqu'on sait que les Kurdes n'ont pas une bonne réputation en Turquie. Car les Kurdes recherchent également en Turquie une autonomie renforcée à travers le PKK.
- La création d'un grand Etat kurde, est-elle légitime?
Est-ce-que c'est légitime? Après tout, tout peuple qui a une aspiration à l'indépendance, à l'autonomie, il peut être légitime du moment que cela ne se réalise pas dans la violence. Après il faut que l'Etat, auquel il appartient, accepte. On voit le cas, par exemple, en Catalogne où certains Catalans veulent être indépendants mais ce n'est pas forcément la position de la majorité des Catalans et encore moins de la majorité des Espagnols. Être légitime, c'est une chose, la réalité c'est encore une autre chose. La création d'un Etat kurde dans la région cela me paraît impossible car tous les Etats sont opposés à cette création. La Syrie, la Turquie, l'Irak et l'Iran ne sont pas pour.
- Pouvons nous dire qu'il existe historiquement un Etat kurde ?
Il n'y a jamais eu historiquement d'Etat kurde indépendant.
- La population kurde dans l'objectif de la création d'un Etat kurde est manipulée par Washington contre la Turquie, contre la Russie?
Cela a toujours été le cas. L'Histoire du Proche-Orient c'est une histoire d'instrumentalisation des minorités par des grandes puissances. C'est quelque chose qui date depuis plusieurs siècles, sinon depuis plusieurs millénaires du moins depuis les croisades. Cela continue par la suite. On instrumentalise des minorités auxquelles on fait de fausses promesses, parfois de vraies promesses aussi, et qu'on utilise pour affaiblir des Etats plus puissants. Ce n'est pas nouveau. Mais je pense que les Kurdes ne sont pas dupes. Je pense que les Kurdes recherchent une autonomie renforcée. Ils l'ont déjà en Irak où ils agissent comme un quasi-Etat. Ils espèrent l'avoir en Syrie, peut-être en Turquie mais je pense qu'ils réalisent que l'indépendance est un peu illusoire.
- Sur le long terme quelle évolution voyez-vous entre Washington et les Kurdes?
Trump, il est très clair. Il n'a que ses intérêts, il n'a pas d'alliés. Du jour au lendemain, les Kurdes peuvent être lâchés par Washington. Ils ne peuvent faire aucune confiance en Washington d'autant plus que les Etats-Unis dans le long terme, ils veulent se désengager dans la région.